Numérisation des services publics : la grande menace

La question de la numérisation des services publics n’est pas technologique. Elle a des implications qui ont à voir avec l’accès équitable à ces services, nos droits fondamentaux et la justice sociale. La promesse de la numérisation tout azimut telle qu’elle est posée dans le débat public est parée de toutes les vertus : efficacité, accessibilité, modernité, et en prime, elle permettrait de faire mieux avec moins. Moins d’argent public et moins d’agents publics.  Mais cette « dématérialisation » dissimule en réalité une déshumanisation de nos services publics.

Derrière la promesse se cache une réalité qui fait mal et menace les piliers mêmes de notre société : l’égalité, la liberté, la justice. La numérisation des services publics telle qu’elle est aujourd’hui mise en œuvre tourne le dos aux fondamentaux qui ont guidé le développement de ces services publics. Ceux-ci sont censés mettre en œuvre l’action sociale de l’Etat qui vise l’émancipation collective et individuelle des citoyen·nes. Mais la numérisation que nous constatons détourne les services publics de leurs missions originelles en éloignant les usagers des services auxquels ils ont droit et en généralisant l’arbitraire comme mode de gestion des prestations.

 

La fracture numérique, une exclusion silencieuse, mais dévastatrice. 

La numérisation était censée faciliter l’accès aux services publics. Mais pour qui? Lorsque l’on constate que dans les faits, des millions de nos concitoyen·nes se trouvent exclu·es de cette révolution technologique ? Les personnes âgées, les précaires, les exilé·s, les jeunes en difficulté, les personnes en situation de handicap : toutes celles et tous ceux qui n’ont ni les outils, ni les compétences nécessaires pour naviguer dans cet océan numérique. Ils se voient dépossédés de leurs droits, mais aussi privés de leurs voix. Pour beaucoup d’entre nous, la présence d’un interlocuteur humain et l’accompagnement bienveillant dans nos démarches est une nécessité pour garantir l’accessibilité des services. 

 

Le déploiement de l’usage d’algorithmes dans la numérisation des services publics nous plonge dans un monde où les décisions qui façonnent nos vies et nos droits sont prises dans une opacité totale

L’accès aux aides sociales, la gestion de la santé, l’accompagnement à l’emploi : ces secteurs vitaux sont désormais régis par des logiques automatisées, dénuées de toute compréhension des réalités humaines. Ces algorithmes, loin d’assurer une justice sociale, génèrent des injustices : erreurs non corrigées, biais inconscients ou voulus, stigmatisation systémique des plus vulnérables. Ce modèle technologique est dangereux, car il éradique tout dialogue ou recours, et établit comme standard la déshumanisation et l’arbitraire dans les décisions publiques. Il nous inclus dans une société de surveillance, où chaque mouvement est observé, chaque geste étiqueté et - au fond - où chaque citoyen est potentiellement suspect.

 

La privatisation et la dépendance aux grandes entreprises est un renoncement à notre souveraineté.

Une part croissante de la numérisation de nos services publics est confiée à des entreprises privées. Les géants du numérique, les GAFAM, tissent leur toile autour de nos droits les plus essentiels : la santé, l’éducation, la justice. Pourtant, le modèle économique de ces multinationales consiste à transformer nos droits sociaux en marchandises, nos données en ressources et au final, à réduire le citoyen en consommateur captif. 

Ce marché de l’intime, de la vie privée, est fondamentalement incompatible avec le principe même de services publics. Ce modèle de société est dangereux et menace les fondements même de la République Sociale. L’Etat, et les services qui relèvent de ses capacités régaliennes, doit reprendre le contrôle. Nous devons bâtir une infrastructure numérique publique, souveraine et transparente, au service des citoyens. Ce n’est pas dans l’ombre des multinationales que notre avenir doit se dessiner, mais dans la lumière d’une démocratie ouverte et solidaire.

 

L’impact environnemental de la numérisation constitue une menace pour la planète. 

La numérisation des services publics ne peut être pensée sans tenir compte de son empreinte écologique. Les data centers, énergivores, absorbent des quantités colossales d’énergie et participent activement au réchauffement climatique. L’illusion de la dématérialisation est dangereuse lorsqu’elle masque l’exploitation effrénée des ressources de notre planète. La transition numérique doit se penser sous le prisme de l’écologie. Nous ne pouvons sacrifier l’avenir des générations futures pour des innovations mal comprises, qui ignorent - et même combattent - les véritables enjeux sociaux et écologiques. Pour cela, notre modèle numérique doit être conçu au moyen d’infrastructures low tech et décentralisées. 

La part de numérisation des services publics à laquelle nous pouvons consentir lorsqu’elle est nécessaire doit être pensée comme un moyen d’assurer à chaque citoyen·ne l’accès à ses droits, sans distinction, sans exclusion.

L’enjeu de la numérisation est un enjeu politique majeur, nous devons imaginer et construire un numérique humain, démocratique, éthique, respectueux de l’environnement. Un numérique sous contrôle collectif et démocratique qui place la dignité des individus au cœur de ses préoccupations.

C’est la condition pour concilier technologie et justice sociale.

Sans ces garanties, la numérisation du monde - et en l’occurrence des services publics - constituera un cheval de Troie contre nos Droits fondamentaux.

Crédits photo Ludovic Godard - UFC

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