L’État défaillant face aux risques industriels

Depuis plusieurs mois la Métropole de Rouen est touchée par des séries « inexpliquées » de mauvaises odeurs.

Ces quinze derniers jours pas moins de 150 signalements d’odeurs soufrées d’œuf pourri et d’hydrocarbures ont été faits auprès de l’organisme chargé de la surveillance de la qualité de l’air, ATMO Normandie.

Les soupçons pèsent sur la raffinerie ExxonMobil située dans la zone industrielle de Port-Jérôme. Cependant l’entreprise prétend avoir « effectué toutes les vérifications possibles et n’avoir rien relevé d’anormal ». Elle indique également collaborer avec les services préfectoraux.

Alors que 40 % des habitants ayant lancé une alerte se sont plaints de maux de tête, l’État reste silencieux.

Notre territoire est touché depuis longtemps par les risques industriels et, aussi, par des catastrophes qui ont marqué les mémoires et généré des traumatismes légitimes.

La catastrophe de Lubrizol a aussi soulevé la question de la confiance que la population pouvait accorder aux autorités chargées de la protéger en veillant avec rigueur au respect des règles et lois par les entreprises.

Il s’agit aussi de faire preuve de transparence vis à vis des citoyennes et des citoyens ainsi que de se donner les moyens d’obtenir toutes les réponses qu’ils sont en droit de recevoir quand une catastrophe survient.

En l’occurrence, le moins que l’on puisse dire est que c’est loin d’être le cas dans notre pays en général, et dans la métropole de Rouen en particulier.

« L’union des victimes de Lubrizol », créée après l’incendie de l’usine le 26 septembre 2019, considère qu’il n’est pas normal que l’on n'ait pas encore identifié après plusieurs semaines l’origine de ces odeurs. Elle craint même un incident dissimulé.

Cette inquiétude tire ses origines de l’incident survenu en début d’année 2021 sur la commune de Sotteville-lès-Rouen avec l’apparition d’odeurs très désagréables dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier.

Dans un premier temps l’institut de la qualité de l’air, ATMO Normandie, et les services de l’État avaient conclu à des « feux de cheminée ».

La réalité était tout autre.

Grâce au courage des salariés et syndicats de l’usine Multisol on a appris par la suite que l’odeur de « pneu brûlé » provenait d’une unité de fabrication d’additifs pour lubrifiants.

En quittant leur poste, les opérateurs avaient oublié d’arrêter l’unité provoquant un effet d’emballement des températures qui aurait pu provoquer une catastrophe industrielle compte tenu de la proximité de la chaufferie au gaz.

Sans l’esprit de responsabilité des salariés, l’industriel n’aurait pas signalé l’incident, et l’État continuerait à attribuer l’origine des odeurs à des « feux de cheminée ».

Ces défaillances à répétition illustrent le désintérêt de l’État pour la sécurité de nos concitoyen•nes face aux risques industriels.

Suite à l’accident de Lubrizol du 26 septembre 2019 rien n’a changé ou presque. Même le très modeste système d’alerte par SMS « Cell broadcast » n’est toujours pas en service. On nous promet vaguement une expérimentation à l’été 2022 soit près de 3 ans après la catastrophe !

L’État n’est pas le seul acteur défaillant. La Métropole de Rouen, pourtant en première ligne de la catastrophe, a décidé de s’en remettre aux filières industrielles en signant un partenariat avec l’ICSI - l’Institut pour la culture de sécurité industrielle ».

Quant à l’Europe, si elle agit par l’intermédiaire de tout une série de fonds structurels pour renforcer la sécurité des sites et éduquer la population son action est résolument insuffisante.

A l’image de son action pour la qualité de l’air, elle doit contraindre les États à assurer la sécurité de leurs populations.

Néanmoins je reste convaincu que la meilleure façon d’agir reste encore la mobilisation citoyenne.

Je suis particulièrement attentif à l’exemple remarquable de l’Institut Ecocitoyen pour la Connaissance des Pollutions de Fos-sur-Mer.

Contrairement aux ATMO il n’est financé ni par l’État ni par les industriels mais uniquement par des collectivités locales.

Cela lui donne une indépendance d’action et de discours incomparable qui ne l’aurait jamais conduit à attribuer l’incident de l’usine Multisol à des « feux de cheminée ».

Mais je suis d’avis d’aller encore plus loin et que ce soit l’Europe qui assure le financement d’un réseau d’instituts écocitoyens pour constituer un contre-pouvoir à des acteurs publics beaucoup trop complaisants avec les intérêts économiques industriels.

Par ailleurs, il me paraît fondamental de s’appuyer sur les salarié•es des entreprises qui sont de véritables expertes et experts de la sécurité et du fonctionnement des sites industriels dans lesquels ils travaillent.

Il y a une corrélation entre un degré élevé de sécurité des sites et des ouvrier•es qui y travaillent et le respect des normes environnementales.

En l’espèce, sécurité des salarié•es et respect de l’environnement sont alliés. Le respect des normes et des réglementations, grâce à des moyens de contrôle suffisants et de prévention adaptés contribuent au deux ; lorsqu’on veille au respect de l’un, on veille aussi au respect de l’autre.


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