Des montagnes de déchets à prix d’or

Au moment où tout le monde parle du pouvoir d’achat il me paraît utile de nous attarder un moment sur notre modèle de consommation.

Il y aurait bien entendu beaucoup à en dire… Quelle consommation ? De quoi ? Produit où ? Par qui ? Dans quelles conditions ? Pour quoi faire ?

Ces questions ont des ramifications sans fin puisque la consommation est le principal moteur de notre modèle de société productiviste. C’est d’ailleurs comme cela qu’on la qualifie par l’expression courante : « société de consommation ».

Mais comme nous le savons, ce modèle implique de nombreuses « externalités négatives ». Parmi elles : la quantité sidérante de déchets qu’il implique.

Il faut lire, si le sujet vous intéresse, le petit livre très didactique de Baptiste Monsaingeon et dont le titre est particulièrement bien trouvé : Homo détritus.

150 kilos de ressources sont nécessaires pour produire un smartphone de 150 g que l’industrie veille à rendre le moins durable possible par diffèrent procédés dont l’obsolescence programmée (voir à ce sujet l’intervention de Guillaume Pitron à l’événement « Numérique 1.5(°C) », organisé par David Cormand). Et on parle là de « la face cachée » de la production de déchets, puisque ce sont ceux produits en « amont », c’est à dire avant et au moment, de la production de l’objet.

Ce modèle, absurde, nous rend esclave de ce qui nous est pourtant présenté par la publicité comme un outil d’émancipation : la surconsommation.

Celle-ci a de graves conséquences pour l’environnement dans le processus de fabrication, de transport et d’usages de ces biens…

Mais je vais m’attarder aujourd’hui sur un aspect spécifique : la « production » de la montagne de déchets avals (c’est à dire, ceux générés de l’achat à la fin de vie du bien consommé) que constitue nos poubelles…

Le déclencheur de ce billet est la lecture du rapport annuel sur la gestion des déchets ménagers de ma métropole (Rouen). Pour rappel, la gestion des déchets dans notre pays incombe aux intercommunalités qui la délèguent généralement à des acteurs privés… Chez moi, donc, ce rapport indique que les objectifs de réduction de production de déchets par habitant•e que nous nous étions fixés n’ont pas été atteints.

Au contraire, ça a augmenté. Alors que nous visions pour 2020 l’objectif de 526 kg par habitant•e, nous sommes à 50kg de plus, soit 576 kg.

Autre gros problème, le rapport précise que moins d’un quart de ces déchets sont triés pour être recyclés…

En plus des impacts environnementaux, les déchets représentent un coup très important pour la collectivité.

La Métropole de Rouen y consacre près de 59 millions d’euros par an soit l’équivalent des deux tiers du budget des transports en commun !

La somme est tellement importante que la Taxe des ordures ménagères, TEOM (qui ne cesse d’augmenter dans toutes les collectivités en charge de cette politique, augmentant le montant des dépenses contraintes des foyers) ne suffit pas à couvrir le coût de cette gestion. La Métropole est donc obligée de financer depuis son budget principal la collecte et le traitement des déchets.

Pour le dire différemment, on subventionne la production de déchets. Quel inversement de l’échelle des valeurs ! Et en matière d’argent public qui pourrait être plus utilement dépensé, ça se pose là !

Bien sur ce problème est loin de se cantonner à la seule métropole de Rouen que je ne veux pas accabler. Le problème dépasse les frontières de notre belle collectivité.

La France, une fois de plus, ne brille pas dans ce domaine avec la production de 515 kg par an et par habitant•e. De plus, avec 44 % de taux de recyclage, nous sommes très loin des 67 % de nos voisins allemands. Sur le plastique en particulier, la France se classait avant-dernière de l’Union européenne en 2021.

Au-delà des différences de culture de tri, la France se distingue par son modèle de fiscalité. La fameuse TEOM, taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères, n’est pas basée sur le volume des déchets produits mais sur la valeur locative cadastrale du contributeur !

Difficile de faire moins transparent, plus injuste et surtout plus déconnecté de l’objet de cette taxe…

Au niveau de l’Union européenne, les états membres produisent chaque année 220 millions de tonnes de déchets dont 48,6 % sont recyclés et 27 % « valorisés » sous forme d’énergie. (Je mets « valoriser » entre guillemets car l’incinération, par exemple, des déchets pour produire de l’énergie ne me semble pas mériter ce mot à connotation positive… Cela laisse penser que les déchets seraient une ressource dont on pourrait souhaiter l’abondance…)

L’Europe s’est donc fixée pour objectif d’atteindre en 2035 la part de 65% de déchets recyclés avec un premier palier en 2025 à 55 %.

Mais quand on constate que des territoires comme la Métropole de Rouen, qui n’est pas une exception, ont augmenté leur production de déchets on voit difficilement comment ces objectifs seraient atteignables en si peu de temps.

Et c’est là que résident les contradictions de l’injonction paradoxale à laquelle nous sommes confrontés : d’un côté, si nous ne voulons pas épuiser nos ressources naturelles et finir enfouis sous des montagnes de déchets nous devons remettre en question notre modèle de consommation basé sur le « jetable » ; et en même temps, les politiques publiques et les réglementations font tout pour protéger et encourager la société de consommation.

Les citoyen•ne•s sont invité•e•s à réduire leurs déchets et à mieux les recycler alors qu’on les encourage à acheter de plus en plus des produits dont les réglementations ne contraignent pas les fabricants à les rendre plus solides, plus durables, plus réparables et moins emballé…

S’ajoute à cela que les délégataires qui prennent en charge les déchets n’ont pas forcément intérêts financièrement à réduire les volumes qu’ils ont à traiter… Car les déchets sont - aussi - un business comme un autre.

Bref, là encore, il faut aller à la racine du problème. Les comportements individuels sont importants pour répondre aux enjeux environnementaux. Mais ils ne peuvent pas compenser à eux seuls les turpitudes que génèrent le modèle de société consumériste qui repose sur le gaspillage, l’abondance, la quantité, l’accumulation.

Nous devons opter pour une société de la sobriété, une consommation utile plutôt que futile et des biens durables plutôt que jetables.

La fiscalité peut également nous y aider. Tant que la gestion des déchets sera financée par un « machin » obscure sans lien avec le volume de déchets que nous générons et nos gestes de tri, nous continuerons à être encouragé à détourner le regard de ces déchets que nous ne voulons pas voir.

Mais cette cécité nous coûte cher, collectivement, du point de vue écologique ; et individuellement, d’un point de vue fiscal…

En plus des changements structurels que nous devons entreprendre d’un point de vue réglementaire : durabilité, réparabilité, réusage, recyclage, suremballage, … nous devons opter pour une fiscalité incitative, c’est à dire basée sur la quantité et la nature des déchets que nous produisons.

Moins de déchets, c’est une meilleure qualité de vie, moins de surconsommation, un environnement préservé et aussi moins d’impôts. C’est donc un des exemples qui illustre que l’écologie et le pouvoir d’achat sont liés. 

Pensons-y quand nous faisons nos achats et quand nous sortons nos poubelles…


Il est temps de produire et de consommer autrement. Pour tout comprendre au travail de David Cormand sur la consommation au Parlement européen, c’est par ici 👉 https://www.davidcormand.fr/protection-des-consommateurs

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