Contre le nouvel obscurantisme.

Nombre de commentateurs ont parié - et parient - sur l’essoufflement des mobilisations de la « génération climat » en faveur de la planète : elles ne sont selon eux qu’un monôme adolescent, un embrasement éphémère, un feu de paille destiné à périr aussi vite qu’il a pris. Mais pire encore, pour eux, elles sont le signe d’une jeunesse désœuvrée, privilégiée, immature, se complaisant dans une posture victimaire. Pourtant, la clairvoyance des militant·e·s du climat sur ce que l’on nomme pudiquement les externalités négatives de notre modèle dit « de développement » est grande. Que leur vision du monde déplaise aux réactionnaires n’est pas surprenant. Elle repose non seulement sur la remise en question décisive du capitalisme productiviste, mais de surcroît s’éveille au refus absolu de toutes les dominations, discriminations et injustices. Il faut comprendre que ce mouvement est irréversible, car il vient de loin et est vertébré par des valeurs solides. Sur les enjeux environnementaux, la mobilisation de la jeunesse révèle une prise de conscience durable qui s’appuie sur une tendance lourde : le refus de monter à l’échafaud climatique sans mot dire. C’est bien un changement de système que demande la jeunesse mobilisée. De ce point de vue, la COP 26 offre une nouvelle démonstration du décalage entre les aspirations des militantes et militants qui s’engagent pour sauver le climat et les responsables gouvernementaux réunis en cénacle à Glasgow. L’opposition frise la caricature, tant elle campe des manières de percevoir le monde diamétralement différentes. D’un côté, des gouvernements qui rivalisent dans des concours d’éloquence pathétiques. Leurs mots alertes contrastent avec leur engoncement dans une orthodoxie économique qui fige leur action. Ils négocient pied à pied des engagements que, du reste, ils risquent fort de ne pas tenir. De l’autre, des jeunes qui demandent, rapport du GIEC à la main, des mesures à la hauteur de l’enjeu, et portent l’ambition de voir émerger un sursaut politique pour l’humanité et le vivant dont nous faisons partie.

 

Je ne vais pas faire ici mystère de quel côté penche la balance de mon cœur. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas affaire de sentimentalisme. Bien sûr le dynamisme, la fougue, l’audace, la créativité de la génération climat m’enchantent. Elles sont autant de leviers précieux pour qui ambitionne de faire bifurquer nos vieilles sociétés vers la modération et la justice. Pour autant, la puissance émotionnelle du combat mené ne doit pas faire oublier que la rationalité est de notre côté. Ce point est essentiel. Et c’est un aspect des choses qui, ces derniers jours, m’a sauté au visage. Il ne m’avait pas échappé que beaucoup des grandes voix du climat sont juvéniles encore, que ce sont souvent des femmes, qu’elles sont souvent caricaturées en simples « activistes » et que par conséquence, le message qu’elles portent se trouve minoré. Au mieux on les voit comme des lanceuses d’alerte, qu’on écoute avec un mélange de gêne et d’admiration comme on observerait des enfants précoces récitant une leçon qui ne serait pas de leur âge. Quand elles interpellent d’une manière qui, du point de vue de leurs interlocuteurs, sort du cadre de l’idée qu’ils se font de la bienséance et du rôle dans lequel ils voudraient qu’elles se cantonnent, elles sont alors dépeintes en hystériques sujettes à des pulsions émotionnelles irrationnelles… Jeunes et femmes, elles sont des cibles parfaites pour tous les abus de langage et de pouvoir. Pourtant leur puissance fait mouche, et déstabilise des forteresses. Leur force et leur aplomb dérangent. Il est d’ailleurs notable que leurs détracteurs les plus violents ne se contentent pas d’être des révisionnistes du climat, mais sont aussi des ennemis des droits des femmes. Trump, Bolsonaro, Orban, Zemmour… Si on excepte les latitudes, les négationnistes se ressemblent et s’assemblent dans un récit commun climatosceptique, sexiste, nationaliste, raciste, et antisocial... 

 

Retour à Glasgow. Célébrer la lucidité du discours de la jeunesse mobilisée demande qu’on écoute aussi les solutions qu’elle porte. Depuis trop longtemps la morgue des dominants qui mènent le monde à sa perte leur permet d’assurer que celles et ceux qui critiquent leur décisions morbides ne sont que des idéalistes. Le réel semble ne pas avoir de prise sur leur assurance. Ni les méga-feux, ni les inondations ne les forcent d’agir. La catastrophe écologique en cours, forgée par un anthropocène devenu meurtrier du vivant ne les pousse pas à abjurer leur foi libérale. Dans le meilleur des cas, ils rêvent qu’un capitalisme vert viendra prendre la suite, sans comprendre que la crise que nous traversons n’est pas conjoncturelle mais structurelle, et à la vérité, civilisationnelle… Mais désormais, et j’en viens à ce qui m’a sidéré la semaine passée, c’est que cette morgue méprisante des puissants prend aussi la forme d’un nouvel obscurantisme. Deux images illustrent ce phénomène. La première se situait à Rome, lors du G20 qui précédait le sommet de Glasgow. L’aéropage des grands de ce monde était réuni en rang d’oignon devant la fontaine de Trevi. Une pièce à la main, ils s’apprêtaient à les jeter derrière leurs épaules dans ladite fontaine pour se souhaiter « bonne chance » en prévision du sommet à venir… L’autre image étant celle du Président des États-Unis achevant son discours à Glasgow par un « God bless you and may God save the planet »… Comment mieux résumer le manque de lucidité de ceux censés nous gouverner ? S’en remettre à Dieu ou au sort sonne comme un terrible aveu d’impuissance.

D’une certaine manière, on les comprend… Quand on a abdiqué toute volonté d’action politique sur la marche folle du monde et face à l’économie punitive en train d’anéantir l’habitabilité de la Terre, il ne reste que la foi et la superstition pour espérer en notre bonne fortune… Ce nouvel obscurantisme compte aussi ses marchands du temple. Leur pacotilles et autres bibelots se parent des habits de la science et de la modernité. L’un de ces camelots est d’ailleurs le Président Macron. Son plan « France 2030 » est, là encore, une illustration du recyclage de lubies anciennes dont nous subissons les conséquences : croyance dans le nucléaire, promesse d’avions « propres », exploitation du fond des océans, comme si aucun recoin de notre planète ne devait décidément échapper à la pulsion extractiviste de notre « société de consumation »… Il est vrai que « Feindre de tout changer pour que rien ne change » est, depuis l’origine, son credo. Et tout est mis au service de cette orientation, y compris le cynisme le plus crasse. Ainsi, le Président Macron est en train de saboter les négociations européennes pour mettre en œuvre une taxonomie - en clair, des critères d’investissement économique écologiques - qui intègrerait le nucléaire et le gaz ! Pour « sauver » le nucléaire, Macron fait alliance avec les pays européens pro-gaz, qui sont aussi les pays dirigés par des régimes illibéraux…

 

On assiste donc à une sorte d’inversion des rôles où ceux qui sont censé être « sages » sont sous l’emprise d’un obscurantisme techniciste quasi religieux censé pouvoir maintenir un modèle qui pourtant est en train de nous détruire ; et où celles et ceux qui devraient pouvoir jouir d’une insouciance adolescente doivent porter sur leurs épaules le poids d’un monde filant vers le chaos avec à son volant des dirigeants ivres et aveugles qui accélèrent en klaxonnant… Greta Thunberg, Vanessa Nakate et leurs sœurs de lutte l’ont compris. Sagesse de la jeunesse et inconscience des anciens…

 

A Glasgow, à l’heure où vous lirez ces lignes, la manifestation des jeunes pour le climat se sera achevée. On l’annonce massive. On aimerait qu’elle soit décisive. Ce que les écologistes subissent depuis toujours, les nouvelles générations militantes le découvrent avec stupéfaction : avoir raison ne suffit pas. Il faut encore faire tourner le rapport de force en notre faveur. « Pas de bla-bla, des résultats », le mot d’ordre est tranchant comme le fil d’un rasoir, et simple comme le jour nouveau qui se lève. Il dit l’urgence à agir. Il nous tance, nous oblige et nous porte à la fois. Sous les yeux exigeants de la jeunesse, il nous faut ouvrir un chemin différent. La tâche est loin d’être aisée tant les résistances sont grandes, les lobbies puissants, et nos adversaires déterminés à ajourner le plus longtemps possible tout changement. Mais le vent souffle dans nos voiles. Il nous sera favorable si nous savons fixer un cap clair. Tout comme les millions de soutiens de « l’Affaire du siècle » qui a remporté une victoire juridique historique, nous demandons une action résolue en faveur du climat. Les écologistes ne défendent pas les accommodements avec le système inique et mortifère qui détruit la vie sur la Terre. Nous voulons le changement qui sauve. L’avenir est indécis pourtant et nous ignorons si notre lutte sera victorieuse. Mais nous savons qu’il est encore temps d’enrayer la catastrophe. Le sort des obscurantismes, quels que soient les atours dont ils se parent, est de, tôt ou tard, être dissipés. La lumière vient de l’éveil de plus en plus puissant d’une jeunesse lucide et déterminée. Dans le combat en cours, la ligne politique et l’impératif moral se rejoignent : faire ce que doit, advienne que pourra.

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