Pour en finir avec la guerre à la nature

La prise de conscience de l’urgence écologique se fait chaque jour plus vive et l’inaction climatique devient donc chaque jour plus coupable. L’ONU vient ainsi de faire paraître un rapport au titre aussi ambitieux que poétique, « Faire la paix avec la nature », pour répondre aux trois crises que traverse la planète : le bouleversement du climat, la destruction du vivant, et la pollution qui tue plus de 9 millions de personnes dans le monde chaque année. Cette étude fait suite à de nombreuses autres qui vont dans le même sens et corroborent le diagnostic d’un effondrement de la capacité de la Terre à accueillir la vie.

Pour António Guterres, secrétaire général de l'Organisation des nations unies (ONU), l’humanité mène une guerre « insensée et suicidaire » contre la nature. Il le déclarait déjà dans son discours prononcé en décembre dernier à l’université de Columbia :« Pour le dire simplement, l'état de la planète est brisé. (…) Les déserts se répandent. Les zones humides se perdent. Chaque année, nous perdons 10 millions d'hectares de forêts. Les océans sont surexploités et étouffés par les déchets plastiques. Le dioxyde de carbone qu'ils absorbent acidifie les mers. (…) Les verrouillages COVID-19 ont temporairement réduit les émissions et la pollution. Mais les niveaux de dioxyde de carbone sont toujours à des niveaux records – et en hausse. (…) Comme toujours, ce sont les personnes les plus vulnérables du monde qui sont les plus touchées. Ceux qui ont fait le moins pour causer le problème souffrent le plus. (…) Soyons clairs : les activités humaines sont à l’origine de notre descente vers le chaos. Mais cela signifie que l'action humaine peut aider à le résoudre. Faire la paix avec la nature est la tâche déterminante du 21st siècle. Ce doit être la priorité absolue pour tout le monde, partout. »

Comment lui donner tort ? La prédation sur les ressources naturelles, la destruction des écosystèmes, l’usage répété et croissant d’intrants et de composés chimiques nocifs, la fabrication de déchets nucléaires dont on ne sait que faire, la pollution de l’air, des terres et de l’eau participent du même phénomène de destruction de la nature, et partant de là, de la destruction du vivant sous toutes ses formes. La guerre contre la nature nous détruit. La sagesse commande donc de changer de modèle. Et de le faire vite. 

Or l’immobilisme, voir l’accélération, demeure. La force de l’habitude et le poids d’imaginaires lestés de convictions productivistes, paralysent le bras de ceux qui sont dans le cockpit de la fusée Humanité. Ils ne changent pas de trajectoire, ni de plan de route, ni de cap et augmentent la vitesse. Comme s’ils n’avaient pas compris que la destination vers laquelle nous sommes embarqué.e.s est funeste. Preuve en est, les plans de relance adoptés par les États pour faire face à la pandémie Covid 19 font majoritairement l’impasse sur les enjeux climatiques. Comme le rappelait le Réseau Action Climat en septembre dernier, « il ne s’agit pas d’un plan de relance (…) qui permet de faire le saut nécessaire vers un nouveau système de production et de consommation plus résilient. Mener une politique écologique, sociale et économique cohérente avec nos objectifs climatiques n’est pas compatible avec un soutien inconditionnel aux entreprises qui aggravent le dérèglement climatique. »

En réalité, pour sortir de la guerre contre la nature, nous avons besoin d’une révolution dans la manière de concevoir l’ordre des priorités politiques, d’envisager ce que nous appelons la prospérité, de concilier économie et environnement. Le chantier est considérable. Nous voulons certes de nouvelles politiques publiques et l’essentiel de mon mandat de député européen consiste à se battre pour réorienter la politique européenne. Mais c’est notre appréhension du monde, notre rapport à la nature, notre conception de notre place sur la planète et au sein du vivant qui doivent être repensées. Il faut en somme redéfinir une politique de civilisation. L’originalité de la vison écologiste nait précisément ici : Nous appelons à une refondation de l’ordre imaginaire de nos sociétés. Voilà pourquoi, sans nous affranchir de l’histoire, nous ne sommes pas pour autant solubles dans les traditions politiques qui nous ont précédé. L’écologie annonce aux marchands du temple que la fête est finie :  l’hégémonie de la vision productiviste du monde vacille, rattrapée par la matérialité des dommages infligés à la planète. Les fausse croyances sont convoquées au tribunal des faits. S’abriter derrière le vernis raisonnable des « Lois de l’économie » devient impossible quand la nature rappelle ses lois indépassables. Hier, La promesse illusoire capitaliste et la recherche aveugle de la croissance ont fait passer le désordre pour l’ordre. La conscience écologique, inversant les polarités, introduit désormais un désordre salutaire dans le système actuel pour rétablir l’ordre naturel et, partant de là, propose de remettre à l’endroit les priorités dans notre modèle de développement: la coopération et la solidarité plutôt que la concurrence; la réussite collective plutôt que l’accomplissement individuel; la considération pour ce qui compte vraiment comme le vivant, mais aussi les services publics, les métiers du soin, de l’éducation, de l’économie réelle plutôt que les profits à court terme. En ce sens, l’écologie est un conservatisme novateur. Nous n’appelons pas au changement pour le changement : nous voulons reconstruire un monde plus harmonieux. Nous avançons pour ce faire sous la double bannière du sens (armés de la raison et de la connaissance mises au service du bien commun) et de la sensibilité (instruits par l’expérience de l’altérité, du déclin et de la perte).  La raison écologique a tiré les leçons du passé, y compris du plus récent. Chaque fois que nous nous sommes affranchis de nos responsabilités, chaque fois qu’une science sans conscience a corrompu l’idée de « progrès » en la réduisant à la pulsion techniciste, de grandes catastrophes en ont découlé, couturant notamment le 20ème siècle de crimes odieux. Il est temps d’emprunter un autre chemin. Notre révolution est de velours. L’esprit de violence lui est étranger.  Parce que faire la paix avec la nature demande, au fond de commencer par faire la paix avec nous-mêmes : aucune écologie politique ne pourra faire l’impasse sur l’écosophie chère à Félix Guattari. 

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