Il est temps d’en finir avec la République des lobbies.

Et soudain, « l’affaire » McKinsey jeta une lumière crue sur le quinquennat finissant d'Emmanuel Macron. Il fallait voir, hier [jeudi 31 mars], les mines d'enterrement des deux ministres tentant d'éteindre le feu naissant de la polémique avec des arguments de pompiers pyromanes, pour saisir l'embarras qui saisit le camp du président candidat. Si la mise à jour du recours du gouvernement à des entreprises de consulting se livrant à des acrobaties fiscales pour ne pas s'acquitter d'impôts dans notre pays ne surprend pas, elle consterne. Elle dit assez la lente dérive qui a vu les affaires publiques devenir des affaires privées. Elle révèle aussi la marque de fabrique primitive du macronisme : le mélange des genres dans l’entre-soi. La macronie est un microcosme où aucune barrière n'est hissée entre les pouvoirs politiques et les intérêts économiques privés, où le renvoi d'ascenseur est monnaie courante, où la confusion entre le sens de l'état et le sens des affaires est à son comble, où les lobbies ont table ouverte. L'enchevêtrement des complicités et des loyautés tissées au sein d'un monde plus petit que le fond de ma poche, éloigne impitoyablement le macronisme de l'intérêt général.

J'ajoute qu'il y a, aux sources du recours aux consultants de McKinsey, une croyance absolue dans le culte de la performance adossée à une idée plus folle encore : pour le gouvernement, au fond, on peut diriger un pays comme on administre une entreprise. L'expression « start up nation » n'était pas une métaphore mais bel et bien une offensive sémantique tendant à faire rentrer dans les esprits les plus récalcitrants, l’idée que la politique moderne consistait à veiller sur les indicateurs du pays comme on suit les cours d'une action en bourse. C'est la colonne vertébrale du macronisme. Fort de cette conviction, on markette des réformes qu'on tentera de faire passer à coup de triques, de nudge et d’instagrameurs. Les tableurs Excel tiennent lieu de boussole, et les Powerpoint gavés d’éléments de langage et remplis de formules creuses font office de pensée. Le politique est sommé de rendre les armes devant le marchand.

Car voilà bien ce qu’ils sont : avec le sourire si possible. Si dans la mise en scène de la Présidence Macron, les baskets et les sweats de l'entreprenariat décomplexé ont remplacé les mocassins à glands de la droite orléaniste, la pseudo-cool politique de LREM est le masque d'une violence de classe terrible. Si le Sarkozysme avait berné les classes populaires et que le Hollandisme les avait abandonnées, le Macronisme a parachevé ce long travail en les humiliant. Est ici révélé un mépris profond, organique, tripal que ressent ce pouvoir vis-à-vis du peuple et qui n’est régulé par aucun sur-moi.

Le principal talent du Président Macron (il faut bien qu’il en ait un pour avoir pu convaincre le peuple français de voter pour lui) est l’escamotage. Rappelez-vous ses références à Audiard, Sardou et au karaoké. Remémorez-vous ses expressions qui se voulaient populaires en même temps que légèrement désuètes prétendument frappées au coin d’une sincérité pourtant feinte. Rappelez-vous celui qui aimait s’afficher auprès des barons noirs du baby boom pour mieux s’inscrire dans la mémoire collective nostalgique. Mais derrière cette nostalgie kitch qui singeait la connivence et la proximité, il y a la méthode éculée du commercial qui imite vos gestes pour mieux vous inspirer confiance. La République en marche, c’est la république des marchands. Derrière le mal qu'Emmanuel Macron se donne pour « faire France », il y a une obsession et aussi une intention politique : vendre notre pays à la découpe. Consciencieusement. Méthodiquement. Derrière le recours au théoriciens permanents de la braderie des biens communs que sont McKinsey et consort, il y a une « culture », celle de ceux qui ne savent lire ni histoire, ni géographie, ni littérature, ni philosophie, mais uniquement des bilans calibrés tels qu’on apprend à les livrer au kilomètre dans les écoles de commerces. Et il y a aussi, bien sûr, un projet politique : le seul qu’Emmanuel Macron et sa tribu de golden boys sont en mesure de mettre en œuvre : démanteler l’Etat.

Concentrés sur cette basse besogne, ils sont aveugles et sourds — à moins que cela soit de l'indifférence — aux soubresauts qui ont frappé de plus en plus durement le peuple. Au fur et à mesure que le contexte social rendait la vie plus difficile aux classes populaires, le dédain du gouvernement et ses politiques destructrices des acquis sociaux sont venus les blesser davantage encore. Le pays sort exsangue de tant d'affaissement de la solidarité. Écrivant ceci je ne nie pas le rôle joué par la pandémie planétaire puis la guerre en Ukraine, mais je déplore précisément que les politiques conduites ont désarmé notre nation devant les commotions sociales causées par le désordre du monde. Et c'est ici que les préconisations de McKinsey prennent tout leur sens. Dans tous les pays où opère ce cabinet conseil, ses recommandations vont toujours dans le même sens. Pour résumer, quand on fait appel à leur service, on paye très cher des notes qui répètent à l'envie les mêmes injonctions : désengagement de l'état, baisse aveugle des coûts de fonctionnement, suppression de postes de fonctionnaires, etc.

On leur demande leur avis sur la politique fiscale ? Ils vous répondront qu'il est de bon ton de déshabiller Paul-aux-mains-vides pour habiller Pierre-aux-mains-déjà-pleines. On leur demande leur avis sur l'éducation ? Ils vous répondront que la solution passe par l'intéressement des salariés aux résultats de l'entreprise. Pardon, mon clavier fourche, iIs vous répondront qu'il faut payer les enseignants au mérite. J'arrête là. La chanson est connue. Seuls les interprètes varient. Les consultants de McKinsey sont les braves petits soldats d’une internationale libérale animée par une idéologie qui refuse pourtant de se nommer ainsi. C'est la ruse la plus fréquente de la raison libérale : se présenter non comme une option mais comme une nécessité, non comme une philosophie mais comme une science, non comme un choix orienté mais comme la seule rationalité possible.

À l'heure où la campagne s'achève, il est utile de rappeler que les écologistes depuis toujours contestent non seulement le fond des politiques ainsi prescrites, mais aussi la méthode qui consiste à sous-traiter à des cabinets sans aucune légitimité démocratique la réflexion sur notre avenir. Un bulletin de vote en faveur de Yannick Jadot est le meilleur passeport pour la sortie de l’hérésie qui nous voit gaspiller les fond publics en rapports d'un autre âge. Nous croyons davantage à la délibération collective des citoyennes et des citoyens qu'au secret des officines libérales. Pour comprendre la marche du monde, nous nous inspirons davantage de l'observation de la disparition des abeilles que des fluctuations du CAC 40.

Surtout nous croyons dans l'intérêt général. Et nous savons que, pour le déterminer, il faut avec constance écarter les lobbies de la conduite des affaires de notre pays. C’est même là que réside l’une des spécificités des écologistes et que l’on nous reproche d’ailleurs parfois. En lançant l'alerte inlassablement, nous donnons à voir ce que les puissants ont de tout temps voulu dissimuler, à savoir les externalités négatives d’un modèle prédateur et destructeur à la fois de la Nature et des humains. Nous sommes au fond l’exact inverse de ces spéculateurs zélés qui organisent la spoliation des communs et des biens communs au profit des rentiers dont ils sont les obligés. Si nous parvenions au pouvoir, l'une de nos premières mesures serait de promulguer une grande loi de séparation de l'État et des lobbies. Car c'est la condition préalable au déploiement d'une politique ambitieuse de transition écologique dans la justice sociale. Les lobbies une fois remis à leur place, c’est-à-dire dehors, la République pourrait alors reprendre ses droits et son travail. Nous entrons dans les derniers moments de campagne. Les lapins macronistes pris dans la lumière des phares des révélations sur l'affaire McKinsey apparaissent plus fragiles que ce que semblait dire leur arrogance des dernières semaines. C'est un moment de cristallisation qui doit inspirer notre mobilisation. Que chacune et chacun d'entre nous participe du nécessaire travail d'élucidation de la fin de campagne. Il n'est jamais trop tard pour dissiper les illusions.

Il est encore temps que nos arguments s'épanouissent pour cheminer dans les esprits, et faire ainsi du vote écologiste l'affluent le plus puissant du changement.

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