Inflammable.

Étrange impression que celle donnée par un gouvernement qui s'accroche à son orthodoxie comme un naufragé à une épave... On a souvent loué l'audace d'Emmanuel Macron, son approche prétendument disruptive, sa modernité… C'est aujourd'hui son inexorable conformisme qui saute aux yeux. Alors que l'Europe est confrontée à une crise énergétique majeure qui impose de changer de logiciel, il est en vérité l’une des plus robustes amarres qui maintient celle-ci au port du statu quo. C'est le propre des crises que de prendre à revers les gouvernants, et aussi de révéler parmi eux les authentiques visionnaires… Mais l'extrême réticence du pouvoir actuel à envisager une taxation des superprofits est venue aggraver les tensions qui hérissent le champs social de notre pays. Notons d’ailleurs que se contenter de réclamer une taxation des superprofits n’a rien de très radical… Au contraire… par définition, il s’agirait juste de fiscaliser des bénéfices exceptionnels lorsque ma conviction est que ceux-ci devraient l’être de manière systémique, c’est-à-dire même lorsqu’ils sont attendus… Mais passons.

Ce que le gouvernement refuse obstinément, les grévistes des raffineries essayent de l'arracher en se mettant en mouvement pour obtenir une augmentation de salaire. En jeu, la redistribution des bénéfices pour faire face à l'inflation. Les interminables queues dans les stations-services, la galère de millions de Françaises et de Français découlent directement du refus de partager équitablement les profits amassés par les pétroliers. Après avoir dénoncé des grèves préventives, soudain, les directions ont été obligées d'accepter de discuter. Anticiper aurait été de meilleure politique. Peut-être même (fol espoir?), un gouvernement volontariste aurait pu être à la manœuvre pour encourager le dialogue sur les salaires. Mais attachés aux dogmes libéraux, comme des arapèdes à leur rocher, Emmanuel Macron et ses amis sont incapables d’envisager l'implication de l'État dans des affaires qui selon eux relèvent du seul marché. Leur idéologie obsolète les aveugle et justifie donc dans leur esprit la brutalité de l’arbitraire. Et c’est bien ce dernier terme qui définit le pouvoir en place. Pourtant la question des salaires, encore plus par temps de renchérissement du coût de la vie, est une question qui relève de l'intérêt général et pas uniquement des desiderata du seul patronat. Je dirais même plus. Il s’agit là d'un cap fondamental dont ne doit jamais se départir un pouvoir politique dans des temps difficiles : la justice.

Comme les causes de la situation que nous vivons sont systémiques autant que conjoncturelles, il est essentiel d'engager enfin une mutation de notre modèle énergétique et d'envisager la désintoxication de notre société aux énergies fossiles. Je concède qu'il est plus simple d'écrire la phrase qui précède que de mettre en œuvre les politiques nécessaires à cette mutation. Mais souvenons-nous de la manière dont il y a peu de temps le président Macron ironisait sur le modèle Amish selon lui porté par les écologistes qui osaient, ô sacrilège, se réclamer de la sobriété... L'eau des rivières asséchées n'a même pas eu le temps de couler sous les ponts, que la réalité écologique et géopolitique du monde a rattrapé les prétentieux d'hier. Sans se repentir aucunement de leur morgue passée ils administrent désormais, tel des Diafoirus, leurs remèdes et leçons de sobriété à une population qui, médusée, les écoute faire l'éloge du col roulé et de l’étendoir au linge pour faire sécher leurs slips…

Qu'on me comprenne bien : je ne récuse en rien les vertus des habits chauds et des Tancarvilles, mais m'étonne des appels à la responsabilité civique soudainement jetés à la figure d'une nation qu’on n’a guère cherché à préparer au choc qu'elle vit aujourd'hui. Surtout je veux dire ceci : la responsabilité écologique des uns ne saurait être utilement mobilisée sans pointer les responsabilités des autres. La France laborieuse,  celle qui se lève tôt, celle qui trime pour boucler les fins de mois difficiles, celle qui grelotte dans les passoires énergétiques, celle qui se presse dans les stations services car elle n'a pas d'autres choix, n'attend pas des leçons mais des solutions à ses difficultés. Elle veut aussi que l'exemplarité des élites économiques et politiques soit la règle et non l'exception. Ce n'est pas se baigner dans les ruisseaux de la démagogie que de demander que le kérosène des riches soit davantage taxé que le gasoil des pauvres. Comme hier, au temps pas si lointain des gilets jaunes mobilisés sur les ronds points, ce n'était pas refuser la transition écologique que demander que la justice fiscale commence par le rétablissement de l'ISF avant de mettre en place une taxe carbone. Si l’essence est une matière hautement inflammable, le contexte social l'est tout autant. J'écris ces lignes pour rappeler que les défis énergétiques et écologiques auxquels nous sommes confrontés sont d'une telle ampleur que nous ne pourrons les surmonter qu'en mobilisant la société toute entière afin de transformer profondément nos manières de vivre pour nous adapter au nouveau régime climatique.

Tordons donc le cou, ici, à un mensonge : la crise n'est pas passagère. Elle est durable et va reconfigurer jusqu'aux conditions de nos existences, en réinterrogeant profondément les moyens de notre subsistance. J’ajoute que la responsabilité individuelle n’est rien à côté des décisions structurelles des pouvoirs politiques sur les infrastructures qui régissent nos vies. Transition bien ordonnée commence par les choix politiques qui doivent être faits : pas de justice climatique sans justice fiscale ; investissements ciblés et conditionnés pour se libérer de l’ébriété énergétique et développer les énergies de paix que sont les renouvelables ; services publics et droits sociaux pour protéger les citoyennes et citoyens dans cette transformation de la société que nous savons indispensable.

Inscrivant ces mots dans le marbre éphémère d'une note de blog, je pense ici à notre ami Bruno Latour, éclaireur de ces enjeux si déterminants pour notre avenir. Il s'est éteint ces jours en nous laissant un héritage intellectuel considérable, portant mieux que des réponses, des questions fécondes. Dont celle-ci, fondamentale et essentielle qui résume à elle seule notre ambition:

Comment reprendre le contrôle sur ce dont dépend notre subsistance ?

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L'Europe, le chasseur français et l'alouette des champs.