La sobriété est un sport de combat.

En cette rentrée politique, des mots désormais font cortège : fin de l'abondance, pénuries, rationnement. Un vocabulaire de crise inédit dans la bouche de celles et ceux qui le prononcent occupe le devant de la scène. Depuis bien longtemps, ces mots annonciateurs de maux étaient prononcés par les écologistes. Nous alertions dans le désert sur les inéluctables conséquences d’un modèle de société que nos adversaires se sont évertuées sans répit à maintenir en place. Les faits ont parlé pour nous. Nous n'en tirons aucune jubilation. Et nous ne crions pas à la victoire culturelle pour autant. Il n'est pas certain que les esprits soient disposés, au-delà du constat, à la bifurcation écologique que devraient susciter les évènements s'ils étaient véritablement pris à la hauteur de leur gravité. Ainsi, dans notre pays, certains signes en disent long sur les injonctions contradictoires qui rendent inopérant le pouvoir macroniste dont la devise du « et en même temps » est depuis l’origine la signature. D'un côté le président et sa première ministre plaident pour la sobriété (en premier lieu énergétique). Mais de l'autre ils continuent à raisonner en termes productivistes, avec pour seul horizon mental l'expansion continue de la croissance.

Du coup, tous leurs appels à la sobriété sonnent creux. Ou pire : apparaissent comme l’annonce de nouvelles restrictions et serrages de ceintures, non pas pour les plus riches, mais pour le commun des mortels dont les perspectives sont déjà en train d’être menacées par les crises systémiques en cours. Les membres du gouvernement récitent donc une leçon apprise à la hâte, mais n'habitent pas leur mots. Au fond ils n'ont pas pris la mesure des bouleversements en cours. Ils plaident pour des solutions conjoncturelles pour faire face à l'urgence. On appelle ça parer au plus pressé. Ou gérer à la petite semaine. Je ne leur fais pas le procès d'être totalement insincères, mais je leur reproche d'être totalement impréparés. Ils n'envisagent aucune solution globale, aucune évolution systémique. Ils abordent le monde de demain avec des logiques dépassés. Ils ont beau faire tourner en boucle leurs éléments de langage sur la planification, ils n'ont aucun sens de l'anticipation. Dès lors, on est forcé de demeurer perplexe : pourquoi, ces jours-ci, cumuler alertes catastrophistes et impréparation de l'avenir ? Gouverner c'est prévoir. Et gouverner à l'heure de l'anthropocène, c'est prévoir que le pire est possible. Et c’est donc nous y préparer tout en se donnant les moyens de protéger la population et, parmi elle, les plus fragiles.

La planète convulse. Le vivant se meurt. Je pourrais prendre mille exemples mais n'en citerai qu'un, loin de nos latitudes : un tiers du Pakistan est sous les eaux, victime d'inondations causées par une mousson continue de plus de 8 semaines. Le pays agonise sous nos yeux. 50 000 000 d’êtres humains devenus des déplacés climatiques en quelques jours. La misère s'ajoute à la catastrophe. Pour qui ne serait pas touché par le lointain, notre été caniculaire devrait à lui seul suffire à comprendre l'ampleur du défi qui nous attend. Cet été, près de 50 000 personnes ont été évacuées de leurs domiciles menacés par le feu. Ce chiffre est le plus élevé dans notre pays depuis quasiment 80 ans et la Seconde guerre mondiale. Nous vivons, sans mauvais jeux de mots, un temps de précipitation : les dérèglements se cumulent et leurs conséquences nous touchent plus tôt et avec plus d'ampleur que prévu. Et cette accélération n’en est qu’à ses débuts. Il est donc temps d'entreprendre une mutation d'ampleur de notre manière de vivre, de produire, de nous déplacer, de consommer pour préserver l'habitabilité de notre monde. Voilà pourquoi je veux dire ici que la sobriété n'est pas une légère modification passagère de nos habitudes. Elle est en réalité une révolution d'ensemble. Un discours de vérité nous oblige d'ailleurs à dire que la sobriété ne concerne pas que les sujets énergétiques. Aucun domaine des activités humaines ne doit désormais échapper à cette réorientation du cours de nos sociétés.

Voilà pourquoi entendre madame Borne plaider au MEDEF pour des plans de sobriété en entreprise était à la fois réjouissant et dérisoire. Réjouissant car son exhortation allait dans le sens d'une prise de conscience, mais dérisoire parce que limiter le sujet à une réponse d'urgence à une lame de fond n'est définitivement pas à la hauteur des circonstances. Le récit selon lequel nos difficultés naissent du chaos actuel, et ne seraient donc que passagères, est faux et dangereux par le déni qu'il révèle. La guerre en Ukraine a été à la fois le révélateur et l'accélérateur d'une crise latente basée sur notre dépendance aux énergies fossiles. La question fondamentale est celle de la décarbonation de l'économie, et partant de là, de nos vies. Cette question du climat ne peut être déliée des enjeux de biodiversité, si l'on veut faire face à l'effondrement en cours. Dès lors, si je conçois que nous sommes obligés de faire face à l'urgence, il faut voir plus loin. On ne s'en tirera pas par une simple incitation à faire des économies d'énergie. Nous ne sommes pas en 1974, mais en 2022. Le choc pétrolier des années 70 n'est qu'une aimable plaisanterie au regard du dérèglement écologique global. La sobriété est donc plus qu'un mot : c'est la condition de notre survie. Sa recherche doit guider notre action politique.

Mais pour achever ici cette note de blog je veux dire, ou plutôt répéter ceci : la sobriété que nous appelons de nos vœux doit être juste et choisie, si on veut qu'elle soit socialement acceptable et écologiquement efficace. « Sobriété juste », car faire peser sur les plus pauvres, qui sont aussi les moins pollueurs les plus grands efforts à fournir est une ineptie doublée d'une forfaiture. C'est vrai chez nous, comme à l'échelle de la planète. La sobriété juste ce n'est pas juste la sobriété : c'est la recherche d'un autre agencement des rapports sociaux capable de produire du même élan une redistribution des richesses et une limitation drastique des atteintes portées au vivant dans son ensemble. « Sobriété choisie », cela signifie qu’elle doit être appréhendée collectivement pour être partagée et consentie. Pourquoi ? Car penser la sobriété est une affaire politique, au sens du contrat civique, et non d'abord un sujet technique. C’est une nouvelle société que nous envisageons de créer. La sobriété doit par conséquence naître d’une construction démocratique, et non pas d’un kidnapping technocratique.

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