Les derniers jours de la Vème République

La pandémie qui nous touche aura bousculé bien des certitudes. Ce qui me frappe, c’est que confronté à la montée progressive des incertitudes, le pouvoir macroniste, loin d’en rabattre sur son jupitérisme initial, a préféré répondre à la crise actuelle par une concentration accrue de la décision.

 

Tout avait déjà été dit sur la Vème République et sa conception monarchique de l’exercice du pouvoir. 

Mais je dois dire que nous venons ces dernières heures de vivre un épisode qui confinerait, si j’ose dire, à la farce si nous ne vivions tous les jours le long décompte des morts liées à la pandémie. L’anecdote en dit long sur les mœurs en cours au sein de la courtisanerie d’état.

 

De quoi est-il question ?

 

Le ministre de l’Éducation Nationale, homme cultivé qui par fonction devrait tenir le savoir académique en haute estime, vient de nous expliquer que quelques mois de lectures pouvaient remplacer les connaissances et les méthodes acquises par toute une vie de spécialisation scientifique.

 

Interrogé sur les compétences en épidémiologie du Président de la République, Jean Michel Blanquer répondait ceci : « Ce n’est pas un sujet inaccessible pour une intelligence comme la sienne et au regard du temps important qu’il y consacre depuis plusieurs mois. » 

 

Mr Jourdain faisait de la prose sans le savoir, Emmanuel Macron est devenu spécialiste des questions d’épidémiologie sans que nous le sachions.

 

Derrière la flagornerie de Blanquer, affleure l’étrange sentiment de supériorité qui, depuis les origines, habite le macronisme.

 

Tout se passe comme si le pouvoir était persuadé de détenir seul une vérité révélée. C’est cette outrecuidance, fondatrice, couplée à la doxa libérale, qui encaserne leurs réflexions qui explique le fiasco de leur gestion de la crise sanitaire. 

 

A chaque étape ils ont agi comme s’ils étaient les seuls à posséder « l’intelligence et la subtilité » nécessaire pour comprendre ce que nous traversions, et quelles mesures devaient être prises. 

 

Je n’ai guère aimé le choix de la rhétorique guerrière pour appeler à la mobilisation contre le virus. Mais du moins, on aurait pu espérer que partant de là, le gouvernement cherche à trouver les voies d’une concorde républicaine en associant l’ensemble des forces vives de la nation à la définition des grands axes de la stratégie à adopter face à la pandémie.

 

Que nenni. L’hôte de l’Élysée a même fini par refuser aux locataires de Matignon, Philippe puis Castex, de réellement exercer leur responsabilité politique.

 

L’orgueil d’Emmanuel Macron nous coûte cher. Comme un enfant s’identifiant au « Big Jim » (ce personnage en plastique populaire dans les cours de récréation des années 80 dont on pouvait changer à volonté les habits) avec lequel il joue, le président de la République a successivement endossé de multiples panoplies agissant à chaque fois comme si le costume faisait l’homme. Il s’est tour à tour voulu chef de guerre, sous-marinier, pilote d’avion de chasse, roi thaumaturge, épidémiologiste en blouse blanche et que sais-je encore.

 

Sa seule constante aura été de se croire en sus, diseuse de bonne aventure. C’est que voyez-vous, cet homme lit dans le futur. Marc de café ou boule de cristal, je ne saurais dire, mais ce qui est certain, c’est que ses prédictions rassurantes n’ont cessé de s’avérer fausses.

 

Au bout du compte voilà le pays exsangue, épuisé psychologiquement, malmené économiquement, commotionné socialement, et infantilisé démocratiquement.

 

Les soutiens de la majorité ne cessent de nous rétorquer : « vous autres n’auriez pas fait mieux. »

 

Et bien justement si. Parce que, en premier lieu nous n’aurions pas menti sur les stocks de masques, si bien que dès les premiers instants notre politique sanitaire aurait été marquée du sceau de la franchise et de la pédagogie. En second lieu, parce que notre conception des besoins d’une nation moderne en matière de santé nous aurait conduit, avant la crise, à tenter de réarmer notre système de soins en général, et l’hôpital public en particulier. Troisièmement, nous aurions eu à cœur dès le début de notre mandat de lutter contre les fractures territoriales, et la résilience des territoires les plus précaires socialement aurait été plus grande face à la pandémie.  

 

Je m’arrête ici, non par manque de munitions, mais car l’inventaire de ce que nous aurions fait différemment serait trop long, et surtout parce que, après avoir tancé le gouvernement pour son arrogance, je ne veux pas tomber dans le même travers.

 

Mais il n’est pas interdit d’affirmer que notre logique politique est très différente de la philosophie qui inspire LREM. En tout point. On me permettra d’insister sur le rapport à l’exercice du pouvoir. Péché originel de la cinquième République, la concentration de tous les pouvoirs dans les mains du président s’est encore accentuée pendant le quinquennat en cours. 

 

Il n’y a qu’à constater le peu de cas que le gouvernement fait du Parlement pour s’en convaincre.

 

A l’aube du mandat d’Emmanuel Macron, en 2017, j’évoquais déjà pour qualifier le rapport du nouveau Président de la République à nos institutions « un hyper-pouvoir qui accouche d’une hypo-politique ». C’est plus que jamais ce à quoi nous assistons. S’étant privé au nom du dogme libéral des leviers d’action de l’État : les services publics, une fiscalité juste permettant de pouvoir investir dans les domaines nécessaires à la santé de la nation, il ne reste au Président qu’à sur-jouer l’homme aux pleins pouvoirs et omniscient. Or, une démocratie digne de ce nom ne saurait reposer sur les épaules d’un seul.

 

Conçue pour résister aux crises, la cinquième République a prouvé sa solidité. Mais décidément, pour faire face aux enjeux auxquels nous sommes confrontés, elle n’est pas adaptée. 

 

Cette semaine encore, nous avons pu constater comment un Parlement, aux ordres de l’exécutif a battu en brèche les espoirs et les travaux de la convention citoyenne pour le climat. Ce à quoi nous avons assisté à l’Assemblée nationale est une triste parodie de débat. Au final, la Loi Climat se trouve vidée de sa substance et donc de son utilité. Il n’y a guère que les lobbies pour y trouver leur compte.

 

Sur un enjeu de court terme - pour répondre à la crise sanitaire - comme sur les enjeux de long terme - relatifs au climat et à l’écologie - l’hyper pouvoir présidentiel a répondu avec le même aveuglement et le même mépris aux attentes sociales et civiques des corps intermédiaires. 

 

La crise sanitaire et la crise écologique que nous vivons sont de terribles accélérateurs de la crise démocratique traversée par notre pays, alors qu’elle auraient pu constituer l’occasion d’un sursaut. M’est avis que la période démontre que nous ne pouvons plus faire l’économie d’une réforme profonde de nos institutions et d’un changement de régime. 

 

La question est essentielle. 

 

On m’objectera que face aux préoccupations sociales quotidiennes, le fonctionnement de nos institutions n’est pas un enjeu prioritaire aux yeux des françaises et des français.  Argument classique pour qui veut différer les changements à accomplir. Mais je répondrais, en indiquant que la Démocratie ne paraît peut-être pas vitale lorsqu’elle semble acquise, mais qu’elle le devient lorsqu’on la perd… Or, tout concourt dans ce moment singulier à l’amoncellement de menaces de régression démocratique. La conjonction des crises environnementales et sociales peut déboucher sur des réponses autoritaires. L’intensité des crispations identitaires sur lesquelles soufflent les populistes porte à la dislocation davantage qu’au rassemblement.  Si on ajoute à cela la montée en puissance de la post vérité et la perte de légitimité de la parole des représentants politique, on a des raisons de s’inquiéter. 

 

L’honnêteté commande de dire que le mal vient de loin. Au fond nous vivons depuis des années, une forme d’insurrection au ralenti où la société conteste chaque jour davantage la légitimité du pouvoir politique.  Mais en choisissant l’enfermement de l’exécutif dans une fuite en avant solitaire, et le mépris des corps intermédiaires, le pouvoir macaroniste vient accroître encore les maux qui nous guettent.  De latente, la crise est devenue patente.

La pandémie est a souligné à quel point l’inconscient monarchique de nos institutions les rendaient inadéquates face aux enjeux modernes qui demandent des formes de codécision et de délibération accrues. Elle ne veut pas se l’avouer, mais la cinquième République, qui vient de faire la démonstration de son terrible anachronisme, vit ses derniers instants.Seule la force d’inertie du système explique l’apparente stabilité institutionnelle. Mais l’heure des choix est venue.

 

Soit notre société est capable de construire une sortie « par le haut », porteuse d’espoir et d’une révolution démocratique émancipatrice ; soit nous verrons venir la victoire de celles et ceux qui spéculent sur le pire. Or, ces derniers, comme écrivait Camus, s’ils se rendent au chevet de la Démocratie, ne viennent pas pour demander de ses nouvelles… 

 

Dès lors, le vœu que je formule, c’est que le changement de régime, inéluctable, soit la conséquence de la volonté démocratique commune, et non le fruit d’un chaos populiste.

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