Macron et son double.

Malgré un quinquennat écoulé, aucune définition du macronisme n'a réellement pu voir le jour. Emmanuel Macron demeure un animal politique difficile à cerner. Mais si nous arborions encore des blasons, celui du président de la République serait frappé d'une anguille. Mes connaissances zoologiques ne permettent pas d'en dire beaucoup sur ce poisson et je précise que mon approche n'est pas éthologique. Mais les dictons populaires font de l'anguille le symbole de l'insaisissable et de l'évitement. Emmanuel Macron, en retardant le plus possible la nomination de la première des ministres, a choisi de gagner du temps et de se soustraire à toute prise. Il avait procédé de même pour l'élection présidentielle.

Mais même les anguilles ne peuvent s'affranchir du réel. Une nouvelle phase politique s'ouvre avec la nomination du nouveau gouvernement. Emmanuel Macron a une énième fois promis de changer : son second mandat serait à la fois plus préoccupé par les questions sociales et plus habité par la détermination écologique. J'aimerais sincèrement que cela soit le cas. Parce que le degré de souffrance sociale de notre pays est exacerbé et que la crise écologique est telle qu'elle nous menace chaque jour davantage. Mais rien n'indique pour l'heure que la politique qui sera menée demain sera réellement différente de celle qui l'a été jusqu'à présent. D'ailleurs, comment imaginer que Macron 2 contredise Macron 1 ? Les soliloques intérieurs du locataire de l'Élysée ne manquent peut-être pas de sel, et à défaut d'accepter le débat avec le pays, peut être est-il traversé par de violentes polémiques internes.

Je ne crois pas un instant à cette fable. Mais gageons qu'elle soit vraie. L'écrit ne permettrait pas de rendre le piquant de la situation. Si j'avais le talent d'un dessinateur de presse, je figurerais alors deux Macron, représentés comme les Dupont et Dupond d'Hergé, en train de se chamailler bras dessus bras dessous, chacun tirant dans une direction opposée. L'image dirait, mieux que de longues lignes, les contradiction de la promesse macroniste en matière d'écologie. Dans les jours qui viennent, on observera les premiers pas du gouvernement. On fera connaissance avec les nouveaux visages. On commentera le style des uns et la manière des autres. Mais je demande qu'on ne se détourne pas de l'essentiel : le « en même temps » écologique n'existe pas. C'est un leurre frelaté, une illusion dangereuse, un mensonge cynique.

Promettre la transformation écologique tout en demeurant prisonnier d'un imaginaire productiviste, c'est envisager par avance qu'on bricolera des synthèses bancales, impropres à faire face à la violence des crises environnementales qui nous frappent. Chaque jour davantage l'équilibre écologique du monde se délite. Le dérèglement devient la règle. En Inde, des oiseaux tombent du ciel, comme dans des mauvais films d'anticipation, victimes de la sécheresse. Au Brésil, l'hiver bat des records de froid. J'arrête là mon tour du monde. En France déjà la sécheresse s'avance. Entendons-nous pour autant le gouvernement nous dire comment il anticipe cette situation et comment il entend dans la durée faire bifurquer nos manières d'habiter et de nous déplacer, comme nos manières de produire et de consommer ? Malheureusement non. Car au fond, l'urgence climatique n'a pas pénétré leurs esprits.

On me dit que madame Borne connaît ses dossiers. Je réponds que nous connaissons son bilan. Il est faible. Trop pour que nous puissions lui accorder, à ce stade, un quelconque crédit. Ce n'est pas un problème de personne : je n'ai pas de raison de douter d’elle plus que de raisonnable. C'est une question de fond, d'orientation générale, de cap politique. J'ai dit, en ouverture de cette note de blog qu'il était difficile de définir le macronisme. C'est vrai. Mais on peut en percevoir la méthode récurrente dans l'obstination qu'il met à vouloir nous faire prendre les vessies du statu quo pour les lanternes de la modernité. C'est même une sorte de signature. Hypertrophie des mots, et réduction permanente du domaine de l'agir. Voilà comment meurt la politique. C'était Macron « 1 » me direz-vous. Vraiment ? Alors Macron « 2 » devra donc rompre avec l'essentiel de sa doxa et de ses pratiques. Reconnaissez avec moi qu'un tel dédoublement de personnalité politique est plus improbable encore qu'une place de parking libre un samedi après-midi chez Ikea. La vérité c'est que ce nouveau quinquennat emprunte les habits du changement pour camoufler le statu quo.

Il nous faut donc forcer un peu la main du destin en envoyant le maximum de députées et de députés de gauche et écologistes à l'Assemblée nationale, pour établir un rapport de force politique qui permette à notre pays d'engager sans délai la transition écologique dans la justice sociale. Mais il y a également un enjeu tout aussi fondamental à ce scrutin législatif : réhabiliter le débat politique dans notre pays. Il est temps que les projets se confrontent. Car derrière la tentative de dissolution des conflictualités que porte Emmanuel Macron en disqualifiant tout ce qui refuse de se soumettre à son orientation politique, il y a un grave péril. Je veux parler de l'aggravation de la déconnexion entre le pouvoir et la société qui subit ses décisions, sans avoir contribué le moins du monde, par le débat, à l'élaboration des solutions. Sans un contrepoids parlementaire fort à la technocratie macroniste qui méprise les corps intermédiaires, la distance entre gouvernant et gouvernés continuera à s'accroître. Dans ce cas, l’espérance de vie démocratique de notre nation serait gravement menacée. Il est temps que la politique fasse son retour et que l’Assemblée Nationale redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être: le cœur battant de notre démocratie.

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