Taxonomie, morne plaine.

Par les temps qui courent, les triangulations politiciennes non seulement brutalisent le débat démocratique, mais à force de mal nommer les choses, elles rendent illisibles les orientations politiques. Pourtant, les mots ont un sens. Ils servent à dire la vérité du monde. Mais trop souvent, ils sont détournés pour la travestir afin de la dissimuler aux yeux du plus grand nombre. Les destructeurs de la planète l'ont bien compris. Ils rivalisent d'effort pour inventer une novlangue qui masque la réalité de leurs agissements, pour ainsi justifier leurs exactions environnementales.

Ces jours-ci, au niveau des institutions européennes, s'est provisoirement achevée une mauvaise séquence de ce type. Ainsi, désormais, selon la taxonomie européenne, malgré la mobilisation constante des parlementaires écologistes, le gaz et le nucléaire pourront revendiquer d'être des énergies « vertes ». Oui, vous avez bien lu. Ce tour de passe-passe n'est pas que sémantique mais est lourd de risques pour la transition énergétique européenne. L'enjeu de la « lutte des classements » est financier : initialement la taxonomie a été conçue pour désigner les actifs « verts » en imposant aux gestionnaires de fonds, assureurs ou banquiers de déclarer ce qui dans leur portefeuille correspond à cette classification. Cette obligation s'étend aux grandes entreprises pour leurs investissements, en capital comme opérationnels. Si la taxonomie ne concerne aujourd'hui que les capitaux privés, dans le futur, elle pourrait servir de base de conditionnement pour le financement de certaines politiques publiques.

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ici comment la France, dont l'actuel président est un fervent partisan de l'atome, a bataillé des mois durant pour bâtir une coalition d'états européens, avec un pacte faustien anti-écologique : « aide-moi à protéger mon nucléaire, je t'aiderais à protéger ton gaz ». Il n’a d’ailleurs pas hésité à le faire en s’alliant avec les leaders illibéraux hongrois ou polonais, demandant qu'on appelle pragmatisme ce qui n'est rien d'autre qu'un déplorable cynisme. 

Le péril écologique ne connaît pas de frontières. Les réponses que nous y apportons n'engagent donc pas que nous autres européens. Or, la classification en cours des investissements durables est une première mondiale, dont on peut imaginer qu'elle fera école en servant de référence pour d'autres pays ou régions. On peut bien chercher à la parer des atours de la vertu, la position défendue par le gouvernement français est un coup de poignard dans le dos des intérêts de la planète.

L'argent est le nerf de la guerre climatique. Si on veut réellement engager une transition capable de sauver le climat, il faut engager des changements systémiques qui concernent tous les secteurs d'activité. Pour qu'il soit possible à tout le monde de se figurer de quoi il est ici question, je reprends à mon compte des calculs établis par EDF. Si le nucléaire ne figurait pas comme énergie verte dans la taxonomie, seules 43% de ses activités seraient éligibles aux financements verts contre 96% s’il était intégré. La taxonomie n'est donc pas un détail, mais bel et bien une question clef.

Notre position est claire : le gaz et le nucléaire n'ont rien à faire dans les énergies vertes. Les partisans du nucléaire utilisent le fait que le nucléaire soit décarboné en en faisant un argument marketing pour le remaquiller dans le miroir de l'urgence climatique. Ce faisant, ils obèrent de fait les investissements massifs dans les énergies renouvelables dont il est pourtant largement prouvé qu'elles sont absolument indispensables. Voilà pourquoi Greenpeace a dénoncé à juste titre un hold-up, qui détournerait des milliards d'euros au détriment des renouvelables…

Incompréhensible au moment même ou le mythe prométhéen de l’énergie infinie, bon marché et sans conséquence pour l’environnement est en train de s’effondrer. La question énergétique est le point de conjonction des crises géopolitiques et du chaos climatique. C'est aujourd'hui tangible pour des raisons écologiques, mais aussi pour des enjeux de pouvoir de vivre pour les familles frappées par la hausse des prix de l'énergie. Continue pourtant à sévir l’imaginaire du nucléaire, celui de l’illusion de l‘abondance énergétique quand la priorité absolue doit être la sobriété. 

En clair, au couple vertueux de l’efficacité énergétique et du renouvelable, les intérêts particuliers, installés dans le bénéfice de leur position acquise, substituent le couple infernal du gaz et du nucléaire. Voilà comment le grand virage nécessaire vers un green new deal se trouve stoppé net au profit d'un brutal retour en arrière. Ce tête à queue aussi stupide que dangereux nous ramène directement dans les années 70…

La responsabilité prise par Emmanuel Macron est consternante. Un bonheur n'arrivant jamais seul, l'actualité nous rappelait fin janvier que la France était le seul pays de l'Union européenne à ne pas avoir atteint ses objectifs en matière de renouvelable. Nous sommes donc à l'avant garde... du retard européen ! En matière d'écologie Emmanuel Macron n'est que le président des mots. Le temps des actes est depuis longtemps venu, mais l'actuel locataire de l'Élysée ne cesse de différer la nécessaire rupture avec l'actuel modèle français. Et pour sauver ce qu'il croit être l’essentiel, en pleine présidence française de l'Union, il est prêt à entrainer l'Europe sur la voie du renoncement écologique, au moment même où nous avons besoin d'un volonté sans faille et d'action sans faiblesse.

A celles et ceux qui détournent les yeux de ce qui se passe à Bruxelles, je dis donc ceci : rien de ce qui se joue en Europe ne nous est étranger. Le sursaut écologique que nous appelons de nos vœux nécessite au contraire de réorienter les politiques conduites au sein de l'union. Nous ne désarmerons donc pas, et ferons usage de toute notre capacité d'intervention parlementaire pour enrayer l'engrenage infernal qui aggrave la crise environnementale planétaire.

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