Au-delà de la révision de sa stratégie, la BCE doit agir pour le climat !

Au début du mois de juillet 2021, la Banque Centrale Européenne (BCE) a publié une révision de sa stratégie monétaire. Cette mise à jour était fortement attendue, et a même été publiée avec 2 mois d’avance. Il était grand temps que la BCE reconnaisse les limites de sa stratégie passée, toutefois, les avancées sont encore trop frileuses. Pour appeler la BCE à enfin agir pour le climat, je signe cette tribune, aux côtés de plusieurs eurodéputé.e.s, économistes et ONG.

Tribune initialement publiée en anglais sur le site Euractiv, version ci-dessous traduite en Français.

Les scientifiques ne cessent de nous avertir : le changement climatique s'accélère. Les conclusions préliminaires du GIEC tirent la sonnette d'alarme sur l'état extrêmement préoccupant du climat, soulignant que l'humanité n'est pas, à ce stade, équipée pour faire face à la détérioration certaine de la situation. Si cela est vrai pour toutes nos sociétés, cela l'est aussi pour notre système financier.

Selon une étude publiée récemment par plusieurs ONG, les 11 plus grandes banques européennes possèdent plus de 530 milliards d'euros d'actifs liés aux énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). 530 milliards d'euros, ce qui représente pas moins de 95% des fonds propres de ces banques. Loin de réduire leur addiction aux énergies fossiles, les banques européennes ont augmenté leur soutien au secteur entre 2016 et 2020.

Pourtant, si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, nous devons laisser au moins 80% des combustibles fossiles dans le sol et réduire la production de combustibles fossiles de 6% par an entre 2020 et 2030. Les actifs que les banques accumulent en finançant des combustibles fossiles destructeurs du climat sont donc à la fois en contradiction avec la transition énergétique et voués à perdre de la valeur à mesure que nous nous engageons dans cette voie. La menace que représentent les banques accros aux combustibles fossiles est réelle, et pourrait ralentir l'ensemble de la transition écologique.

La crise financière de 2008 et les années de crise économique et sociale qui ont suivi auraient dû être un élément déclencheur pour ramener nos économies à la raison. Mais le risque croissant que les actifs fossiles font peser aujourd'hui sur les banques européennes prouve que nous n'avons pas appris la leçon. Nous continuons à laisser les banques foncer tête baissée. Nous nous limitons à une réglementation "douce" et non contraignante, alors que les institutions financières se sont toujours montrées incapables de faire preuve de retenue lorsqu'il s'agit de faire de l'argent au détriment de la planète et de leur propre stabilité. La BCE nous en a donné un exemple frappant en reconnaissant que 90 % des banques ne sont pas alignées sur ses attentes en matière de risques climatiques et environnementaux.

Mais la BCE elle-même n'a pas été exemplaire. Alors qu'elle reconnaît que le changement climatique pose un risque systémique, et que ce risque est plus aigu pour "les banques dont les portefeuilles sont concentrés dans certains secteurs économiques", elle a longtemps soutenu les entreprises de combustibles fossiles par le biais de ses achats d'actifs et de son cadre de garanties. En s'en tenant à une prétendue neutralité, la banque a en fait contribué à perpétuer les investissements dans des activités polluantes, allant ainsi à l'encontre des objectifs climatiques de l'Union européenne et augmentant les risques financiers.

Dans ce contexte, la nouvelle stratégie publiée par la BCE la semaine dernière - la première en près de deux décennies - est une occasion sans précédent de réparer ces erreurs et d'entendre l'appel de plus de 170 000 citoyens qui ont demandé à la banque d'œuvrer pour le climat.

Et, en effet, la stratégie de la banque envoie un signal très positif, inscrivant l'intégration du climat dans les mandats de la BCE et indiquant à toutes les institutions financières que le changement climatique ne peut plus être ignoré. Cependant, elle ne fait pas grand-chose pour résoudre concrètement le problème climatique de la banque : elle ne réduit pas le soutien aux entreprises en désaccord avec les objectifs climatiques de l'UE, ne s'attaque pas au niveau de risque élevé lié aux actifs correspondants et ne propose pas de mesures qui aideraient l'UE à atteindre ses objectifs. Le calendrier de mise en œuvre envisagé suggère même que ces mesures n'auront aucun type d'impact avant plusieurs années, faisant ainsi fi de l'urgence climatique.

Nous appelons donc les dirigeants de la BCE à aller au-delà de ce qui a été prévu et à tirer pleinement parti de leur nouvelle stratégie pour faire en sorte que la banque :

-        Mettre immédiatement fin à tout soutien direct ou indirect aux entreprises qui développent des combustibles fossiles, notamment en excluant ces entreprises de ses achats d'actifs et de son cadre de garantie ;

-        Aligner son cadre de garanties sur les objectifs climatiques de l'UE, comme elle s'est engagée à le faire pour ses achats d'actifs d'entreprises ;

-        Utiliser toutes ses opérations pour contribuer - dans le cadre de son mandat - à la transition, notamment en menant des opérations de refinancement spécifiques pour le financement d'activités présentant des avantages importants pour l'environnement.

-        Fixer des objectifs élevés en matière de surveillance et utiliser tout son pouvoir réglementaire pour pousser les banques à réduire leur exposition à des activités très polluantes comme la production de combustibles fossiles.

Pour la BCE, se concentrer uniquement sur les risques climatiques et attendre de mettre en œuvre des mesures d'atténuation nuirait à sa capacité à remplir sa mission de stabilité des prix et à assurer la stabilité financière. Elle ignorerait aussi les traités qui lui imposent de soutenir les objectifs de l'Union européenne, et s'exposerait à de nouvelles contestations juridiques.  Un nombre croissant de tribunaux, dont les tribunaux néerlandais et belges et la Cour constitutionnelle allemande, ont déjà jugé que l'action inadéquate des États en matière de changement climatique violait les obligations de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales des citoyens. La BCE elle-même est destinataire de la Charte européenne des droits fondamentaux.  Elle doit se conformer à la loi et prendre des mesures dès maintenant, ce pour quoi la nouvelle stratégie n'est en aucun cas suffisante.

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