La Cour des Comptes européenne révèle que la Commission surestime les dépenses de l’UE en faveur du climat

Consacrer 20% du budget 2014-2020 de l’Union européenne à l’action climatique : c’était l’objectif qui devait être atteint. Cependant, selon un rapport spécial de la Cour des comptes européenne (CCE), l’Union en est loin. Les actions en faveur du climat représentent en fait seulement 13% du budget... une surévaluation de 72 milliards d’euros ! Les résultats de ce rapport sont inquiétants, et montrent une fois de plus que les dépenses de l’Union européenne ignorent l’urgence climatique et écologique.

Quelques repères

Pourquoi parle-t-on de la période 2014-2020?

Tous les sept ans, l’Union européenne adopte ce que l’on appelle un « Cadre Financier Pluri-annuel », appelé « CFP » en français (ou « MFF », pour « Multiannual Financial Framework » en anglais).

Il s’agit, comme son nom l’indique, d’un budget pluriannuel qui engage l’institution européenne pour 7 ans. Chaque budget annuel est discuté à partir de ce cadre. Cela permet d’avoir une visibilité sur les engagements budgétaires et les priorités politiques qu’ils sont censés traduire sur du moyen-terme. Ce CFP est le fruit d’une négociation entre le Parlement européen, qui réunit les eurodéputé·e·s, et le Conseil, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Union européenne. Pour être adopté, le CFP doit être voté par la majorité du Parlement et à l’unanimité des États.

La Commission européenne, qui est le gouvernement de l’Union européenne composé de 26 commissaires européens (équivalent des ministres), et présidée par un ou une Président·e de la Commission (équivalent d’une ou d’un Premier Ministre), est censé exécuter ce budget pluri-annuel, ainsi que les budgets annuels qui en découlent.

Ces CFP sont donc l’objet de négociations initiées plusieurs années en amont par le Parlement et le Conseil, en lien avec la Commission. Ils doivent correspondre à une sorte de « cahier des charges » qui énonce des priorités et des objectifs politiques. Une fois validé par les instances compétentes : Parlement et Conseil, ces objectifs qui guident le contenu du CFP ont vocation à être mises en oeuvre.

Comment s’est déroulée l’adoption du CFP 2014-2020?

Dès 2011, la Commission a annoncé sa volonté de faire passer la part du budget de l'UE consacrée à l'action pour le climat à au moins 20 % pour la période 2014-2020. Le Parlement européen avait ensuite adopté une résolution pour soutenir cet objectif de « porter à 20 % au moins la part des dépenses liées au climat ». Le Conseil – qui représente les États membres – a également soutenu cet objectif, dès 2013.

Extrait de la résolution du Parlement européen, votée le 23 octobre 2012

Cela signifie que les institutions légitimes pour dicter le cadre budgétaire pluriannuel ainsi que celle en charge de l’exécuter étaient d’accord : 20% minimum de dépenses en faveur du climat.

Que sont les « actions en faveur du climat » ?

Ce sont celles qui permettent à l’Union européenne de respecter les objectifs climatiques précisés par le Protocole de Kyôto (puis, à partir de 2015, par l’Accord de Paris). Il s’agit des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Concrètement, la Commission européenne s’est engagée à évaluer chacune des dépenses engagées via ses différents programmes, et à classer leur contribution à la réalisation de ces objectifs. Cette évaluation permet de veiller au fait que 20% minimum des dépenses budgétaires contribuent bien à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

C’est la condition pour que le cadre pluriannuel adopté respecte bien dans les faits le mandat politique démocratiquement défini conjointement par le Parlement européen et le Conseil.

👉 Alors, quel est le problème?

 

L’évaluation de la Commission et les trous dans la raquette

Extrait du rapport spécial de la Cour des comptes européenne : 216 milliards dépensés pour l’action climatique ?

Apparemment soucieuse de respecter ses engagements, la Commission européenne a annoncé en juin 2021 que l'UE avait atteint l'objectif de 20 %. 216 milliards d'euros auraient été dépensés pour l'action climatique.

Mais la réalité est toute autre : selon le rapport de la Cour des comptes européenne (CCE), cette annonce de la Commission européenne est tout simplement fausse. D’après l’évaluation de cette instance indépendante – similaire à la Cour des comptes ou les Cours régionales des comptes en France – le montant déclaré comme ayant été dépensé a été surévalué d'au moins 72 milliards d'euros !

Cela signifie que la part probable du budget de l’UE ayant effectivement contribué à la diminution des émissions des gaz à effets de serre a été seulement d'environ 13 % (144 milliards d'euros) à la place des 20 % prévus.

Comment peut-on en arriver là ? 

Extrait du rapport spécial de la Cour des comptes européenne : un exemple de surévaluation : les politiques du transport

Les auditeurs ont analysé toutes les dépenses indiquées par la Commission comme étant bénéfiques pour le climat. Joëlle Elvinger, membre de la CCE qui a dirigé l'audit, explique : « Nous avons constaté qu'en 2014-2020, toutes les dépenses liées au climat déclarées dans le cadre du budget de l'UE n'étaient pas réellement pertinentes pour l'action climatique. »

Sur les 72 milliards d’euros surévalués, les politiques agricoles sont particulièrement pointées du doigt. Ainsi, les paiements directs versés aux agriculteurs européens ou certaines politiques de développement rural sont considérées comme largement bénéfiques pour le climat. Quand on connaît les orientations de la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne – son premier poste de dépense – cette évaluation peut prêter à sourire, ou pleurer…

De la même façon, certaines politiques de transport ont été considérées comme « très bénéfiques » pour le climat, alors que ce n’était pas le cas.

Pourquoi c’est grave ?

👉 D’abord, parce que cela signifie que l’Union européenne prend du retard par rapport aux objectifs affichés, déjà insuffisants pour rester en deçà des 1,5°C de réchauffement climatique.

👉 Ensuite, parce que cela signifie que les modèles qui définissent les critères favorables au climat dans les dépenses publiques ne sont pas tous pertinents.

👉 Enfin, parce que cela révèle un déficit démocratique extrêmement grave : la technocratie de l’institution européenne ne met pas en œuvre le mandat politique démocratiquement légitime qui lui est posé, et cela dans des proportions particulièrement élevées.


Un « greenwashing » budgétaire inacceptable

Dans ce domaine comme dans d’autres, on constate que l’inertie du modèle actuel constitue un obstacle majeur au changement de modèle, même lorsque le mandat politique a été démocratiquement donné.

Lors des négociations budgétaires auxquelles j’ai participé pour le nouveau CFP 2021-2027, en tant que membre de la commission Budget du Parlement, j’ai souvent rappelé la « responsabilité historique » de l’Union européenne pour l’action climatique, et la nécessité d’adopter un « budget de combat » pour le climat.

Pour la période 2021-2027, ce sont donc 30% du budget qui doivent être alloués à la protection du climat. Ce chiffre est déjà insuffisant, compte tenu de l’urgence et des moyens nécessaires à une bifurcation écologique. Mais c’est encore pire si on prend en compte le retard accumulé sur le CFP précédent révélé par la CCE, et si rien n’est fait pour corriger les critères d’évaluation la Comission qui colorent en « vert » des dépenses qui ne le sont pas.

Le « greenwashing » des dépenses est symptomatique de l’ « action » (peut-être devrait-on dire « inaction » ?) climatique de la Commission. Il ne suffit pas de dire qu’une action est bénéfique pour le climat pour qu’elle le soit réellement...

Cela est d’autant plus vrai dans le cas de politiques sectorielles. Par exemple, les erreurs de jugement répétées sur les programmes agricoles montrent à quel point la politique européenne n’est pas durable. Selon la CCE, « la Commission a déclaré que 26 % des financements agricoles contribuaient à l'action pour le climat, ce qui représente environ la moitié des dépenses climatiques de l'UE. Toutefois, la quantité de gaz à effet de serre émise par les exploitations agricoles de l'UE n'a pas diminué depuis 2010. » (p.48).

Il est inacceptable que les orientations progressistes du Parlement soit aussi peu traduites en acte par les autres institutions. Lors de la négociation du budget 2021 (premier budget du nouveau CFP 2021-2027, bravo pour celles et ceux qui suivent…), la plus grande victoire pour le Groupe Vert est d’avoir inscrit, pour la première fois dans un budget annuel (!), un objectif de 30% des dépenses totales pour le climat, ET de 10% pour la biodiversité. 

Peut-on faire confiance à la Commission pour respecter ces engagements ?

La conséquence logique de ces révélations de la CCE devrait être de rattraper dès maintenant le retard constaté pour la période 2014-2020 en augmentant les objectifs climat pour la période 2021-2027.

Toutefois, les auditeurs de la CCE craignent déjà que « la fiabilité de la déclaration de dépenses de la Commission continue à poser question pour la période 2021-2027, avec un objectif en matière de dépenses climatiques de l'UE désormais établi à 30% ».

Restaurer la confiance

Suite à la publication du rapport de la CCE, j’ai signé une question écrite d'eurodéputé·es à la Commission européenne. Dans la lignée des recommandations de la CCE, nous demandons que la Commission européenne revoie son système d’évaluation des dépenses climatiques.

En particulier, le « bénéfice climatique » des politiques agricoles doit être questionné : afin que les dépenses agricoles soient catégorisées à juste titre comme « pour le climat », les conditions de versement devront être revues (exit donc les seuls critères de taille des exploitations et de quantités de production...).

De manière générale, la Commission européenne doit faire montre de plus de cohérence et de transparence dans l’évaluation des dépenses climatiques, et cesser de maquiller ses insuffisances

Le problème est le même quand il s’agit de déterminer quelle activité est verte ou non, comme en témoignent les discussions sur la taxonomie européenne, instrument qui listera les activités bénéfiques pour le climat, et dans lequel la Commission et les États membres veulent inclure... le gaz et le nucléaire.

Derrière le vernis vert, les concours d’éloquence et la poudre aux yeux qui règnent au sein des institutions européennes, il faut que les actes suivent. Et c’est toute la difficulté. Car si les belles paroles s’envolent, les dépenses concrètes qui dégradent le climat plutôt que de le préserver, elles, demeurent.

Pour transformer nos espoirs de changements en victoires réelles pour le climat, plus que jamais, nous avons besoin d’écologie et d’écologistes.

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