Jour noir pour la justice fiscale

La démocratie européenne est une démocratie inachevée. Elle est à la fois le seul exemple dans l’histoire du monde où des institutions étatiques ont librement consenti à déléguer une partie importante de leur souveraineté à une institution supranationale dans le but de construire une paix et une coopération durable. Et elle est aussi bien souvent insatisfaisante car trop opaque et souffrant d’un déficit de contrôle démocratique direct. 

C’est précisément pour tenter de faire évoluer notre Démocratie européenne que, cette semaine, les eurodéputé·e·s ont émis toute une série de propositions pour modifier les Traités sur plusieurs aspects.

De nombreux chantiers étaient envisagés, et les 5 (!) eurodéputé·e·s co-rapporteurs, représentant à peu près tous les groupes politiques, ont trouvé des points de convergence plutôt ambitieux lors des discussions en commission parlementaire. C’est par exemple la demande d’initiative législative pour le Parlement, ou encore l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux.

Les écologistes soulignent depuis longtemps le besoin d’une place plus importante du Parlement dans le fonctionnement démocratique de l’institution européenne, notamment dans la procédure législative.

Car l’un des plus gros blocages pour faire évoluer l’Union est la prépondérance des États membres par rapport aux parlementaires européen·ne·s, via la règle de l’unanimité au Conseil de l’UE. En deux mots, c’est tout simplement un droit de veto pour les États membres sur tout un ensemble de dossiers, en particulier sur la défense, ou l’élargissement de l’Union, ou encore sur la fiscalité !

Lors des votes en commission des affaires constitutionnelles (AFCO), le Parlement s’est prononcé pour que l’unanimité en matière fiscale soit remplacée par ce que l’on appelle la « majorité qualifiée » selon laquelle un texte est approuvé par 55% des États représentant 65% des habitant·e·s de l’Union. Ce changement mettrait fin à un déséquilibre majeur entre le Parlement et les États, que je considère être une anomalie démocratique. Bien sûr, il aurait fallu trouver un accord avec… ces mêmes États afin de graver dans le marbre des Traités cette modification procédurale.

Pourquoi en matière fiscale, il est vital de sortir de la règle de l’unanimité ? Car construire une fiscalité juste consiste — notamment — à lutter contre les paradis fiscaux. Or, certains états membres sont — aussi — des paradis fiscaux…

Mais hélas, les député·e·s européen·ne·s n’auront même pas l’opportunité de négocier ce changement, puisqu’une majorité a décidé de ne plus le demander ! En effet, lors du vote en session plénière ce mercredi 22 novembre 2023, sous la pression du groupe conservateur, de nouveaux compromis ont été déposés, moins ambitieux que le texte initialement adopté. Sur la taxation, le Parlement demandait alors le passage à la « majorité qualifiée renforcée » qui nécessite 72% des États membres représentant 65% de la population.

Mais là encore, surprise : une majorité a refusé ce nouveau compromis, par 256 voix pour, 340 contre et 13 abstentions ! Ce sont essentiellement les groupes de droite et d’extrême-droite qui ont fait front, mais rejoints par certains socialistes et libéraux, la majorité a basculé.

C’est donc une occasion manquée pour le Parlement européen et pour la démocratie européenne en général. La justice fiscale restera prisonnière des égoïsmes nationaux et des États-paradis-fiscaux.

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Pour Michèle