La BEI ne saurait financer l’industrie nucléaire

David Cormand, rapporteur pendant cinq ans des activités de la Banque européenne d'investissement (BEI), présentait la semaine dernière son dernier rapport. Il en a profité pour saluer l'arrivée de sa nouvelle présidente, Nadia Calviño Santamaría, et rappelé une évidence : la BEI ne peut céder aux injonctions court-termistes et, à ce titre, ne peut financer ni l’industrie du nucléaire ni la production d’armements.

Sa prise de parole 👇

Chers collègues, écoutez tout d'abord, Madame la Présidente, madame Calviño, toutes mes félicitations pour votre élection à la tête de la Banque Européenne

d’Investissement (BEI). Je suis ravi de pouvoir échanger avec vous sur les missions de la banque d'investissement que désormais vous dirigez.

Voilà presque cinq ans que j'ai la responsabilité de suivre, au nom de la commission des budgets, l'activité de la Banque européenne d'investissement. Je tiens à remercier

mes collègues rapporteurs fictifs ainsi que leurs équipes avec lesquelles nous avons mené ce travail dans un esprit constructif.

L'un des objectifs qui était le nôtre était alors de faire de la BEI la Banque européenne du climat. Cette mutation a été enclenchée. Je souhaite d'ailleurs saluer très chaleureusement le président Werner Hoyer, votre prédécesseur, avec qui nous avons pu travailler et échanger pour aller dans ce sens.

La feuille de route pour le climat a entériné plusieurs engagements importants, à commencer par l'objectif de 50 % de prêts pour le climat déjà atteint l'année passée. En 2021, la fin du financement des énergies fossiles a été confirmée, bien qu'elle ait été un peu ternie par les centaines de millions d'euros investies durant la période de transition dans des projets gaziers. La banque s'est engagée à ne pas financer le développement de l'extraction minière des eaux profondes.

Ce sont autant d'indicateurs et de standards positifs qu'il faut souligner, sur lesquels il faut s'appuyer pour bâtir une prochaine feuille de route pour le climat améliorée

et encore plus ambitieuse, par exemple pour éliminer définitivement les projets néfastes non seulement pour le climat, mais plus globalement pour l'environnement, dont la biodiversité.

Une banque aussi importante que la BEI doit veiller à consolider ces évolutions en ne cédant pas aux impulsions et opportunités éphémères. Elle joue son rôle prescripteur

en faisant preuve de cohérence.

Madame la Présidente, je vous invite à ne céder ni aux sirènes des défenseurs de l'industrie du passé, ni aux pressions du court terme sur le nucléaire. La BEI a toujours refusé de financer le déploiement d'une technologie particulièrement coûteuse à développer et financièrement vulnérable. Les thuriféraires de l'atome pensent avoir trouvé une nouvelle martingale avec les petits réacteurs nucléaires. Comme d'habitude, ils se trompent. Et la BEI aurait tort de mêler son sort aux perspectives plus qu'incertaines de cette technologie. Si la BEI a un rôle dans le financement de la recherche et du développement, du traitement des déchets ou de la gestion des risques, elle ne doit pas s'aventurer dans un domaine qui pourrait porter atteinte à la solidité financière de ses fondations.

En revanche, dans le domaine énergétique, la BEI doit poursuivre le financement de stratégie d'économies d'énergie sur l'ensemble du territoire de l'Union. Par exemple, en Normandie, c'est l'isolation des collèges publics à laquelle la BEI a contribué. La BEI doit également être une actrice stratégique du déploiement à grande échelle de production d'énergie renouvelable, en soutenant des projets partout dans l'Union, en y associant les populations et les acteurs des territoires concernés.

De la même façon, je pense qu'il est dangereux de vouloir changer les critères de financement du secteur de la défense. Évidemment, la guerre d'agression russe en Ukraine rebat les cartes. La guerre est de retour sur notre continent et Poutine n'a qu'une obsession : fragiliser l'Europe. Depuis le début de cette attaque, nous,

Union européenne, sommes unis dans ce combat et tout doit être fait pour aider l'Ukraine. En ce sens, le paquet de 50 milliards d'euros acté récemment est un engagement nécessaire. L'aide financière et militaire nécessaire doit continuer à être apportée.

Mais le rôle d'une banque d'investissement n'est pas de pallier la défaillance d'États, bien mieux à même de financer la fabrication d'armes et de munitions. Comment la

BEI pourrait-elle être en mesure d'assurer la traçabilité d'armements dont elle assumerait le financement ? La situation exige une prise de responsabilité directe des institutions aptes à contribuer dans les meilleures conditions au financement, à la production et à l'acheminement d'armements et de munitions. Et la BEI n'est pas une solution adaptée à cette mission. Il n'est pas nécessaire de modifier les critères d'attribution des prêts. La banque consent déjà à financer des projets spécifiques quand les applications ont un usage double, c'est-à-dire civil et militaire.

Je vous remercie.

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