Saint-Laurent-de-Terregatte :

Une transition énergétique au mépris des territoires ruraux n’est pas écologique.

Comme souvent, j’étais récemment dans ma belle région de Normandie, en l’occurrence dans le Sud-Manche, près d'Avranches. Cela a été pour moi l'occasion de faire de belles rencontres et de découvrir des initiatives locales inspirantes sur lesquelles je serais sans doute amené à revenir.

Malheureusement, l'objet de cet article est moins inspirant et plutôt à ranger dans la catégorie « coup de gueule ».


À l'invitation de mon ami François Dufour, agriculteur, syndicaliste, militant écologiste infatigable, j'ai pu rencontrer les habitant·es et les élu·es de Saint-Laurent-de-Terregatte ainsi que de communes environnantes qui m’ont alerté sur un projet de stockage d'électricité par batterie implanté sur des terres agricoles.

De très loin, on pourrait se dire « pourquoi pas ? »

On sait que l'un des enjeux de la transition énergétique réside dans le stockage de la production électrique d’origine renouvelable intermittente. En effet, si de nombreuses études démontrent - à l’échelle française comme européenne - dont l'Agence de la transition écologique (ADEME) - qu'on peut répondre dés 2050 (voir avant) à 100% de nos besoins énergétiques grâce à de l’électricité renouvelable, cela implique de développer des capacités de stockage pour gérer l’articulation entre les pics de productions et les pics de consommation.

Le vecteur souvent mis en avant est l'hydrogène. Il s’agit dans ce cas d’utiliser l’électricité produite lors des périodes de « sur-production » pour produire de l'hydrogène à partir d’eau. L’idée est d’utiliser cet hydrogène pour en faire de l’électricité lorsque la demande de consommation augmente... L’hydrogène peut également se substituer directement à l’électricité ou au fossile pour certains secteurs industriels ou dans les transports. Le problème est que les rendements énergétiques pour le produire sont médiocres, on a donc plutôt tendance, pour le stockage, à recourir à des batteries.

Bref, sur le principe, le stockage batteries n’est pas à rejeter. Sauf que, en y regardant de plus près, il semble que dans ce cas précis, la transition énergétique a bon dos… Et ce projet ressemble d’avantages à une opération financière servant de béquille à la production d'électricité issue du… nucléaire.


Mais avant de parler du fond, parlons de la forme.

La société qui porte le projet, TagEnergy, doit - avant de s'implanter - obtenir diverses autorisations administratives auprès des services de l’État : classement ou non en Seveso, éventuelle étude d’évaluation environnementale, permis de construire, etc…

Le projet initial prévoyait une emprise sur 3,8 hectares implantée juste à côté d'un transformateur à haute tension présent depuis des décennies (pour réduire les déperditions d'électricité pendant le transport). Dans son analyse du dossier initial, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) identifiait toute une série de risques l'amenant à demander une évaluation environnementale.

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Dans les risques identifiés il y avait notamment la crainte d'un effet domino en cas d'incendie sur le centre de stockage batterie pouvant s'étendre au transformateur situé juste à côté, et surtout le risque de contamination du milieu naturel par le lithium contenu dans les batteries. Le ruisseau le plus proche, Le Livet, est situé en contrebas du site d’implantation, à 500 m. C’est un affluant de la Sélune qui se jette dans la Baie du Mont Saint Michel, classée Natura 2000, le plus haut niveau de protection pour les milieux naturels. Toujours dans cette rubrique, les services de l’État s'inquiétaient du risque de contamination du captage d'eau alimentant une partie du Sud-Ouest de la Manche en eau potable. En parallèle, le Conseil municipal de Saint-Laurent-de-Terregatte se prononçait en défaveur du projet.

Face à la demande de l’État, Qu'a fait le promoteur du projet ? Réaliser l’évaluation environnementale demandée ? Bien sûr que non ! Abracadabra : Jouant avec les effets de seuils réglementaires, il est revenu auprès des services de l’État avec un projet dont la surface d’implantation avait tout simplement été diminuée de 2 hectares. On aurait pu penser que la DREAL, informée par l'instruction du dossier initial, aurait, en lien avec la commune, maintenu son exigence d'évaluation environnementale au vu des risques sérieux identifiés?

Que nenni.

D'un seul coup, le projet dont la nature restait pourtant en tout point identique ne représentait plus de risque pour les milieux naturels, l'approvisionnement en eau potable ou pour les riverains, de telle sorte que l’État n'a même pas pris la peine de répondre à la demande de permis de construire ! Cette absence de réponse valant… acceptation. 

Il n’a pas non plus jugé utile d'informer les élu·es du nouveau projet ! La commune a découvert quelques jours avant l'expiration du délai de recours son existence.

Je suis outré de l'attitude de l’État qui, dans cette affaire, se comporte comme un complice d'investisseurs qui instrumentalisent les objectifs de la transition énergétique pour dissimuler leur soif de profits au détriment de l'environnement et des populations locales.

Mais parlons du fond justement.

Est-ce que ce projet est réellement mis en œuvre pour permettre la transition énergétique ?

Permettez-moi d'en douter.

Tout d'abord j'ai lu avec attention le document administratif, le « Cerfa », que l’entreprise a déposé auprès de la Préfecture. Celui-ci décrit sommairement le projet de TagEnergy. J’ai également regardé les rares déclarations dans la presse de la société.

Alors, oui, on parle de la nécessité de « [lisser]la production électrique (notamment issue des énergies renouvelables) ». Vous noterez le « notamment ». Il a son importance. Vous allez voir…

Car on parle, dans ces documents, de beaucoup d'autres choses.

On y parle par exemple d'électricité « décarbonée ».

Pour le néophyte, lire ce terme de « décarbonée » sera interprété comme « écologique », et donc renouvelable. En réalité, ce terme désigne l’électricité d’origine nucléaire.

Ce qui n'est vraiment pas surprenant puisque le site est proche de la centrale de Flamanville et que le transformateur situé à proximité sert justement à « traiter » très majoritairement l’électricité produite par ce site nucléaire.

Je ne doute pas que dans l’esprit du Gouvernement, le nucléaire « décarboné » contribue à la transition énergétique mais factuellement ce n'est en rien une énergie renouvelable…

S'en suit, dans ces documents, une série d'objectifs :

« Apporter de la flexibilité supplémentaire pour assurer la résilience du réseau électrique public » : c'est une jolie phrase mais la production d’électricité a partir de nucléaire est pourtant présentée par ses promoteurs comme « pilotable », par opposition aux énergies renouvelables « intermittentes ». Donc pourquoi aurait-on besoin de la stocker ? On nous aurait menti?

Entendons-nous bien. À terme, dans un système énergétique alimenté majoritairement ou à 100% par de l’électricité d’origine renouvelable, des sites de stockage seront nécessaires.

Mais leur implantation ne saurait se faire de manière opportuniste, sans planification globale et sans débat démocratique avec les citoyennes et les citoyens.

Et aujourd’hui, ces projets d’implantation de stockage par batterie champignonnent un peu partout au fil des opportunités qui se font jour, sans qu’une stratégie d’ensemble ne soit connue et présentée.

Par ailleurs, je considère que ces capacités de stockage devraient être pleinement intégrées au réseau Réseau de Transport d’Électricité (RTE). Pourquoi faire appel à des entreprises privées pour se greffer sur notre réseau de production et de distribution d’électricité?

La stratégie de déploiement de ces sites de stockage doit être transparente et répondre à des critères précis comme le stockage d’électricité issu du renouvelable et dans l’objectif de garantir une authentique transition énergétique. Elle doit s’inscrire dans un pilotage public. Enfin, et surtout, elle doit, comme cela devrait être le cas pour les infrastructures de productions renouvelables, être conçue et discutée avec les habitant·es et les collectivités des territoires concernés par ces projets d’implantations. Ceux-ci doivent même être décidés en coopération avec elles et eux. Les retombées économiques doivent bénéficier aux communautés locales.

On ne peut plus accepter que les territoires ruraux soient ainsi méprisés et exploités par des projets de sociétés prédatrices. Il faut passer d’une logique de « déménagement » du territoire à un « ménagement » des territoires et de celles et ceux qui y vivent.


Et pour en revenir, donc, aux habitant·es de Saint-Laurent-de-Terregatte et des environs qui aimeraient tout simplement vivre en sécurité, boire une eau potable et ne pas être les variables d'ajustement d'investisseurs qui spéculent sur une « transition énergétique » frelatée, je voudrais finir en rappelant quelques fondamentaux.

Dans cette affaire, l’État n'a pas joué son rôle de protection des populations, qui fait pourtant partie de ses compétences régaliennes.

Alors qu'il a identifié des risques sérieux d'incendie et de pollution, il a, au mieux, décidé de capituler, voir - au pire - de se faire le complice de l'investisseur en ne se prononçant pas sur le permis de construire, en ne demandant pas d'évaluation environnementale et en ne prenant même pas la peine d’informer le citoyen·nes et les élu·es.

Ce n’est pas acceptable et je tiens à apporter toute ma sympathie et mon soutien aux habitant·es de Saint-Laurent-de-Terregatte et à leur élu·es.

J'ai écrit au Préfet de Région pour lui faire part de mon indignation et lui demander d'intervenir auprès du service instructeur, la DREAL pour réévaluer les risques liés à ce projet à l'utilité douteuse mais aux risques réels.

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