Terminal méthanier du Havre
L'environnement sacrifié sur l'autel de l'inutile
Le 26 octobre 2023 Total Énergie annonçait la mise en service de son terminal méthanier dans le port du Havre, en dépit de la mobilisation de militant·es écologistes et de recours devant la justice.
De quoi parle-t-on ?
Un terminal méthanier est un navire à quai qui permet à des navires méthaniers de décharger leur cargaison de gaz liquéfié, GNL en français - ou « LNG » en anglais - sur les schémas de cet article.
Le gaz est transformé en méthane liquide, sa fabrication est très consommatrice en énergie et, en cas de fuites, l'impact climatique du méthane est 25 fois plus important que celui du CO2. Pour tout arranger, une grande partie du GNL est importée des USA à partir de gaz de schistes aux impacts désastreux pour l'environnement à tel point que l’exploitation en a été interdite en France, mais pas l'importation...
Selon Total il s'agissait de répondre à « la menace grave pesant sur la sécurité d’approvisionnement en gaz » dans le contexte de guerre en Ukraine concomitante à un hivers 2022 particulièrement difficile avec la moitié des centrales nucléaires françaises à l'arrêt pour maintenances ou travaux de réparation.
Dans ce contexte, l’État a décidé de balayer d'un revers de la main le Droit de l'environnement au nom d’une prétendue urgence à agir. Il a mis en place des procédures d'instruction accélérées permettant même les démarrages des travaux avant la fin de l'instruction du dossier administratif simplifié. Les recours juridiques portés par France Nature Environnement (FNE), l'association Écologie Pour Le Havre et des élu·es EELV furent royalement ignorés. Mais, il faut le reconnaître, cette pratique qui consiste pour l’État à ignorer le Droit en autorisant le lancement de travaux sans pour autant attendre que les recours soient purgés est devenu la norme. On l’a encore vu avec le scandaleux chantier de l'A69 ( Castres - Toulouse ), déclaré illégal par une récente décision de justice.
Certes, dans ce dossier du terminal méthanier, le tribunal s'est finalement prononcé en défaveur des requérants le 13 juin 2024, considérant qu'il y avait bien une menace grave pour la sécurité de l’approvisionnement en gaz et que par conséquent le permis ne constituait pas une atteinte disproportionnée et durable à l’environnement. Dont acte.
Mais dans cette affaire, l’État s'est également montré particulièrement zélé à l’encontre des militant·es écologistes, en les intimidant.
Ainsi, quatre militants de Greenpeace, qui avaient mené une action pacifique en septembre pour protester contre l'entrée du futur terminal méthanier au Havre, se sont retrouvés devant la justice avec le porte-parole de l'ONG et deux journalistes présents sur les lieux pour répondre de « délits de droit de la mer ».
Heureusement, en France, la Justice n'est pas aux ordres de l’État et le 10 décembre 2024 ils furent tous relaxés par le tribunal maritime du Havre.
Mais élargissons un peu la focale et revenons au fond du dossier. Car si la justice a finalement validé ce projet, que nous disent les faits sur sa véritable utilité ? Cette infrastructure était-elle au final justifiée par des besoins?
Je vais vous présenter une série de graphiques issus de l'Institute for Energy Economics and Financial Analysis qui permettent d'appréhender l'ampleur du scandale, vous pourrez consulter par vous même les données à ce lien : https://ieefa.org/european-lng-tracker#reciteEnable.
Laissons de côté un instant les impacts désastreux pour l'environnement du GNL pour nous concentrer sur des aspects purement économiques : avait-on réellement besoin d’accroître nos capacités d'importation ?
Le premier schéma nous montre, en gris la consommation constatée et projetée de gaz en Europe, en rouge les capacités d'importation en milliard de m3 de gaz liquéfié (LNG) et en noir la demande.
On peut constater qu'en 2021 déjà les capacités d'importation étaient largement supérieures aux besoins. En 2022 l'écart se réduit très légèrement dans un contexte particulier en France avec l'arrêt de la moitié des centrales nucléaires mais reste tout de même nettement excédentaire au moment de la décision de créer le terminal. A partir de 2023, année de mise en service du terminal du Havre, la demande de GNL diminue alors que la capacité continue à s’accroître, tendance qui se confirme en 2024 !
Dit autrement, il en va du GNL comme de tous les autres projets d'énergies fossiles ou nucléaires en France, l’État et les industriels prévoient toujours « large » en s'appuyant sur l’hypothèse d’une inexorable croissance des besoins.
Ce schéma nous indique, sans ambiguïté, qu'à l'échelle européenne, un nouveau projet de terminal méthanier n'était pas nécessaire.
Mais qu'en est-il de la France ?
En toute objectivité on pourrait considérer qu’être en surcapacité en Europe mais en déficit en France justifie, dans un contexte de tensions internationales, la création d'une infrastructure sur notre territoire…
Le schéma suivant vient démentir cette hypothèse en montrant que le terminal méthanier du Havre et ses 5 milliards de m3, est le dernier né d'une famille bien établie puisque nous disposions déjà de 4 terminaux en France pour une capacité d'importation de 34,5 milliards de m3.
Sur la base de ce schéma, l'opportunité du projet au Havre dans un contexte de surcapacité apparaît plus que douteuse. Mais admettons que ces données soient trompeuses.
Un bon moyen, donc, de vérifier dans quelle mesure la création - dans l’urgence, je le rappelle - de ce terminal méthanier supplémentaire était indispensable est de regarder, tout simplement, quel a été le niveau d'activité du terminal du Havre depuis sa mise en service.
Le schéma suivant nous montre que si le terminal a fonctionné à environ 50% de sa capacité pendant 2 mois, de décembre 23 à janvier 24, son activité s'est ensuite effondrée à 15% de son potentiel pour ensuite retomber à zéro à partir d'août 2024 et ce jusqu'à maintenant !
Pour le dire simplement le projet de terminal méthanier du Havre, réalisé en bafouant le droit de l'environnement sous couvert d’urgence absolue à sécuriser notre approvisionnement en ressources énergétique, est un fiasco économique.
Il a été TOTALement inutile !
Ce projet a été « vendu », c’est à dire justifié, par des considérations d’impératifs économiques (nous allons manquer de gaz) et géopolitiques (nous devons arrêter d’acheter le gaz russe).
Résultat des courses, non seulement il n’est pas utilisé, mais en plus, nous continuons à importer en Europe du GNL Russe. Ces importations ont même continué de croître en 2024 ! La France, l’Espagne et la Belgique ont même représenté 85 % de ces importations européennes de GNL russe l’année dernière.
La France et les Pays-Bas ont tous deux augmenté leurs importations de GNL russe de 81 % et ce en toute légalité puisque le 14e paquet de sanction de l'UE pris en juin 2024 se contentait d’interdire des investissements dans de nouvelles capacités en Russie (sic). Rappelons à ce sujet que TOTAL qui a porté le projet de Terminal méthanier au Havre soit-disant pour importer du GNL américain a maintenu ses activités fossiles en Russie…L’Union commence juste à envisager d'interdire toute importation de gaz Russe à échéance… 2027.
Le schéma suivant détail les sources d'approvisionnement en GNL en France : le gaz d’origine russe est en bleu clair (34%), américaine en bleu foncé (38%), notre troisième fournisseur est l'Algérie (17%) puis viennent le Nigeria (4%) et la Norvège (4%) et divers fournisseurs pour 3%.
Je trouve cette affaire représentative de la dérive que nous constatons en France.
Au nom d’arguments présentés comme des impératifs économiques ou de sécurité nationale, l’État n'hésite pas à bafouer l'environnement, à maltraiter le droit et à persécuter ses défenseurs.
L'aveuglement intéressé de l’État, qui agit comme la marionnette des grands groupes énergétiques à fait faire un grand bond en arrière à la France en matière climatique en favorisant le GNL et le gaz de schiste.
Plus grave encore d'un point de vue éthique et géopolitique, notre pays continue, par ses choix absurdes, à financer le régime Russe, lui permettant de poursuivre sa guerre en Ukraine.