Les trains se cachent pour mourir
Le sujet des Zones à Faibles Émissions (ZFE) est réapparu dans le débat public à l'occasion de l'examen d'une proposition de Loi visant à les interdire.
Très vite les échanges ont tourné à la caricature en stigmatisant les « bobos écolos urbains » qui vivraient dans une réalité alternative, mais également la « méchante » Europe qui pourrait réclamer 3,3 milliards d'aides perçues par la France au titre de la transition écologique pour la seule année 2025 si la Loi était votée.
Néanmoins, si l’Union européenne a bien fixé des seuils sanitaires concernant la qualité de l’air ce n'est pas pour imposer des contraintes anti-sociales, mais pour que les citoyennes et citoyens européen•nes cessent de mourir par dizaines de millier chaque année à cause de la pollution de l'air (240.000 dans l'Union Européenne), notamment liée aux particules fines émises par les véhicules. Il s’agit aussi de protéger les enfants de plus en plus sujets à des maladies respiratoires, allergies et autres bronchiolites, conséquences de l’irritation de leurs bronches provoquée par ces pollutions.
Évidemment, comme toujours, l’ensemble des études démontrent que ce sont les plus pauvres qui sont les plus exposés à la mauvaise qualité de l’air. Car les quartiers populaires sont situés à proximité des axes routiers et sont donc les principales zones d’immission (c’est à dire les zones où les particules impactent les personnes).
Ce ne sont pourtant pas les plus pauvres qui utilisent les voitures, et donc ce ne sont pas eux qui sont responsables des émissions de particules. Et pour cause, posséder et utiliser une voiture est de plus en plus cher.
Mais comme souvent le débat est tronqué, voire orienté par les partisans du statu quo pour ne pas dire de la régression.
D'une part, comme dit plus haut, l'Europe demande à la France d’améliorer la qualité de l'air afin de protéger la santé des citoyennes et des citoyens, mais elle n’a jamais demandé la mise en place de ces ZFE ; Et encore moins dans les conditions souhaitées par le Gouvernement Macron.
Le choix de mettre en place des ZFE est celui de l’État français et de lui seul, pas de l'Europe, encore moins des agglomérations.
Les ZFE telles qu’imposées, c’est 100% made in Macron.
D'autre part, les écolos ont des approches contrastées vis à vis des ZFE. Pour la raison suivante : si toutes les métropoles sont exposées à une qualité de l’air dégradée à cause des émissions des camions et des voitures, leurs caractéristiques urbanistiques, industrielles, géographiques, leurs histoires, ne sont pas uniformes.
Par conséquence, si le diagnostic sur la nécessité d’améliorer la qualité de l’air est partagé, les réponses à apporter ne sont pas les mêmes. Dans certaines métropoles, comme la Métropole de Rouen, les écologistes y sont même opposés car le cadre imposé par l’État n’est pas adapté à la réalité de ce que peut faire notre territoire pour réduire les émissions.
À Rouen et sur notre métropole, l’application telle quelle de Loi ZFE conçue par les macronistes serait non seulement pénalisante pour les habitant•es de la métropole les plus modestes, mais elle serait en plus inopérante pour régler le problème de fond de la pollution.
À Rouen, la vraie mesure efficace qui permet de faire baisser rapidement les émissions, et donc d’améliorer la qualité de l’air, consiste à offrir des alternatives pour qu’il y ait de véritables solutions agréables à utiliser pour celles et ceux qui souhaitent réduire l'usage voire se passer de leur voiture individuelle : en ville, le vélo et les transports collectifs, hors de la ville le covoiturage et le train. C’est un enjeu social et sanitaire. Mais c’est aussi une priorité en matière de pouvoir d’achat. Permettre à un foyer qui était dépendant de sa voiture de pouvoir s’en passer, c’est en moyenne 600 € d’économie par mois ! C’est un 13e, et même un 14e mois écologique.
Cela me permet de faire une transition avec le grand impensé du moment : le train.
Pour les personnes habitant en zone rurale et périurbaine, le train est la seule alternative crédible à la voiture pour les déplacements du quotidien.
L'Europe la bien compris puisqu'elle a cherché dès les années 1990 à développer le train au travers de sa politique d'espace ferroviaire unique européen. Entre 2001 et 2016 le Conseil et le Parlement ont approuvé quatre paquets législatifs allant de l’idéologique et contre-productive ouverture du marché à la concurrence à des aspects plus positifs comme l'accroissement des exigences de sécurité ou le renforcement des droits des voyageurs ferroviaires (meilleure information, protection en cas de retards, lutte contre les discriminations, obligation de places vélo etc.).
En dépit de l'impulsion européenne, les investissements n'ont pas été à la hauteur en France et malheureusement ce mode de transport est de moins en moins attractif avec un prix d'usage qui s'envole, une fiabilité qui se dégrade et de plus en plus de gares qui ferment en… zones rurales et périurbaines. Or c’est précisément là où elles sont indispensables pour offrir une alternative à la voiture individuelle.
Bien sûr les pouvoirs publics portent de beaux discours sur le ferroviaire.
Ainsi le Président de la République avait annoncé en 2022 un grand plan d'investissement de près de 100 milliards pour La France.
Pour la Métropole de Rouen cela devait se traduire par la création de 5 RER Métropolitains dédiés à la mobilité du quotidien. Est également prévu, en théorie pour 2035, une nouvelle gare Rive Gauche pour accueillir la Ligne Nouvelle Paris Normandie (LNPN) dont on parle beaucoup, mais surtout pour permettre l'augmentation de l'offre ferroviaire régionale car la gare Rouen Rive Droite est totalement saturée.
Sauf que, au-delà des discours, les dossiers ont du mal à avancer.
L’État en est encore à « recueillir les contributions de l’ensemble de l’écosystème des transports » avec la mise en place d'une Conférence des financeurs qui s'ouvrira le 5 Mai à Marseille (3 ans après les annonces). Gageons que l’État constatera qu'il est désargenté et qu’il se tournera vers les collectivités locales pour assumer ses responsabilités alors qu'elles sont très loin de pouvoir y faire face, et que par ailleurs, l’État diminue sans cesse leurs dotations.
Quant aux engagements des collectivités locales, ce n'est pas toujours reluisant non plus.
Si la Métropole de Rouen semble afficher son intention de contribuer au développement du ferroviaire, avec par exemple la possibilité de voyager gratuitement dans les trains (sur la Métropole) avec un abonnement de bus, la Région elle mérite le bonnet d'âne.
Dans un récent rapport sur le cadencement du réseau ferroviaire régional, la FNAUT (Fédération nationale des usagers de transports ) de Normandie portait un diagnostic sans concession sur l'état déplorable du réseau normand, à la fois l'un des plus cher et l'un des moins performant de France.
Et malheureusement ça n'est pas près de s'améliorer puisque le Président de la Région Normandie, qui ne cesse de s'auto-congratuler pour l'achat de nouveaux trains, semble beaucoup moins allant pour ce qui est de développer l'offre, c'est à dire rouvrir des lignes, des gares voire augmenter la fréquence et l'amplitude horaires.
Le 10 mars dernier il a ainsi annoncé que la Région n'était pas en mesure de financer le coût « faramineux » (300 millions) de la réouverture de la section Évreux – Louviers. Avec le projet en cours de liaison entre Louviers et Rouen, cela permettrait de relier (enfin) les deux préfectures de l’Eure et de la Seine-Maritime par le train.
On pourrait déjà lui rétorquer qu'il était prêt à mettre la même somme sans sourciller pour une autoroute à péage à l'Est de Rouen (A133-134) aussi inutile que destructrice pour l'environnement. Mais il faut surtout souligner que le même Hervé Morin vient de refuser la possibilité offerte par l’État de mettre en place un Versement Mobilité, une fiscalité sur les entreprises de plus de 10 salariés, qui aurait chaque année rapporté à la Région la somme de 40 millions d'euros.
Alors que les agglomérations nous alertent sur leur manque de ressources pour développer les transports collectifs urbains, le Président de la Région Normandie se permet le luxe de refuser une recette de 40 millions d'euros par an tout en se plaignant de ne pouvoir financer le coût « faramineux » du train.
Monsieur Morin fait donc le choix de ne pas développer le train et de maintenir les normand·es dans la dépendance à la voiture au détriment de leur pouvoir de vivre, de leur santé et de la planète.
Le dogmatisme qui punit et pénalise les territoires ruraux et péri-urbain en organisant leur désertification par l’abandon des services publics dont ils ont besoin est bien du côté de la Droite conservatrice, incapable de changer de logiciel et qui garde le regard fixé dans le rétroviseur.