Les Paquebots, ce prédateur des océans

Le 4 juin Nathalie Delattre, Ministre déléguée du tourisme était en déplacement en Seine-Maritime pour évoquer les problématiques de sécurité et de protection de l’environnement en lien avec les flux touristiques. Après s'être rendue à Étretat et Saint-Jouin-Bruneval, en première ligne sur ces questions, elle a fait escale au Havre pour découvrir le projet de nouveau terminal de croisière maritime « Pointe de Floride » représentant un investissement de 100 M€ et qui devrait entrer en service à la fin de l'année 2025.

A cette occasion elle s'est déclarée « éblouie et conquise » par le projet et a salué « cette porte d'entrée pour les croisières pour un tourisme qui croît ». Je vous avoue être resté perplexe - pour ne pas dire consterné - par les propos de la Ministre qui visiblement n'a pas pris la mesure, ni du contexte, ni du moment.

D'une part, son déplacement s'effectuait dans le cadre de la protection de l'environnement lié à l'activité touristique. Or, s’il y a bien une activité qui a un impact considérable sur l'environnement, que ce soit le climat, les pollutions ou la biodiversité, c'est le tourisme de masse des croisières maritimes. Les ONG environnementales, les villes d'accueil, le Sénat français, la Cours des comptes européenne,… tout le monde alerte sur les impacts environnementaux de ce tourisme de luxe, j'y reviendrai.

Mais ce qui est encore plus sidérant, c’est que ce déplacement s’est tenu juste avant la troisième Conférence des Nations Unies sur les Océans, coorganisée par le Gouvernement Français du 9 au 13 juin à Nice !

L’objet de cette conférence vise précisément à mieux protéger les océans des pollutions et de la surexploitation des ressources marines en faveur « d'une économie bleue durable ». Dans quel monde vit cette Ministre pour pouvoir considérer que l'activité de tourisme des croisières maritime pourrait être qualifiée de « bleue durable » et imaginer que sa croissance serait compatible avec la « protection de l'environnement ».

Cette position est d'autant plus consternante que les lobbys ne sont pas en reste pour défendre coûte que coûte leur droit à polluer et à détruire l'environnement. Le même jour, mercredi 4 juin, Claire Nouvian, la fondatrice de l'ONG Bloom qui agit pour la préservation des océans, subissait une ignominieuse tentative d'intimidation à son domicile. Je lui adresse ainsi qu’à sa famille tout mon soutien et ma sympathie contre ces pratiques mafieuses.

Pour poursuivre sur l'action essentielle menée par Claire Nouvian et son ONG, nous avons longtemps cru que les mers et océans étaient infinis et à l'abri de nos vicissitudes. Pire, qu’ils pouvaient constituer une réserve sans fin pour nos besoins en même temps qu’un déversoir sans fond pour nos déchets.

Mais la réalité est que les océans meurent aussi.

Le berceau de la vie sur Terre est en train de devenir un cercueil. Les niveaux de pollutions sont alarmants, la faune marine est menacée à la fois par la pollution et la surexploitation sans compter l'impact du dérèglement climatique qui perturbe les courants marins.

Selon l'ONG Bloom, rien qu'en 2025, le chalutage a provoqué la destruction de l'équivalent de trois départements français :

Pour aller plus loin, je vous renvoie à cette page : https://bloomassociation.org/bloom-lance-un-radar-du-chalutage-dans-les-aires-marines-protegees-francaise/

La Cours des comptes européennes a également publié le 4 mars 2025 un rapport alarmant sur la pollution générée par les navires intitulé « l'UE navigue toujours en eau trouble ». La Cours tire la sonnette d’alarme en soulignant que si la législation européenne progresse, c'est sa mise en œuvre par les 22 états membres côtiers qui pose problème.

Concernant le rôle de l'Europe, trois directives européennes ont été prises entre 2005 et 2019 pour encadrer l'activité maritime et limiter leurs impacts environnementaux et en juin 2023 la Commission européenne a présenté un train de mesures sur la sécurité maritime qui ont conduit le Conseil à adopter en novembre 2024 deux directives modifiées.

Mais l’efficacité de la législation européenne dépend pour beaucoup de la bonne volonté des États membres à la mettre en œuvre. Or, quand on constate que la Ministre du pays européen disposant de la plus grande surface maritime des 27 pays de l’Union, et la seconde du monde, fait la promotion des croisières maritimes au moment ou son gouvernement coorganise une Conférence de l'ONU qui vise à en réduire les effets, on peut craindre le pire sur ses résultats.

Dans tous les cas, on ne peut que constater la duplicité de ce gouvernement qui ne cesse de multiplier depuis des mois les agressions contre l'Environnement.

Pour mieux appréhender l'ampleur du problème, j'ai sélectionné quelque schémas issu d’un rapport dont voici le lien pour y accéder: https://www.eca.europa.eu/fr/publications/SR-2025-06

Tout d'abord deux schémas qui montrent l'impact de l'activité maritime en matière de pollution et de déchets :

Ensuite un schéma qui montre comment les bateaux polluent les océans. L'illustration est basée sur un porte-conteneur mais le schéma s'applique à l'ensemble des secteurs, pêche industrielle et croisières maritimes comprises.

Cela me conduit à revenir à mon point de départ, la promotion par la Ministre déléguée du tourisme des croisières maritimes dans le cadre de son déplacement sur la protection de l'environnement.

Tout d'abord, l'impact des paquebots est méconnu du grand public mais parfaitement documenté quand aux effets en matière de gaz à effet de serre, de pollution aérienne, maritime et de destruction des fonds marins liée au mouillage.

En 2022, l'ONG Greenpeace révélait d'ailleurs qu'un passager de paquebot impactait 2,4 fois plus le climat par kilomètre parcouru qu'un passager en avion ! Les travaux de l'ONG sont basés sur les données de l'Agence européenne de l'environnement et une étude néo-zélandaise.

En 2023, l'ONG Transport et Environnement démontrait que les 218 paquebots en activité en Europe émettent 4,4 fois plus d'oxyde de soufre que la totalité du parc automobile européen ! Dans certaines villes dotées de terminaux maritimes, la proportion est même nettement supérieure.

Pas étonnant dans ces conditions que partout en Europe les villes d'accueil des croisières maritimes chercher à réduire cette activité au vu des impacts sur l'environnement et la santé de leurs résident·es, sauf visiblement en Normandie où les villes du Havre et de Rouen prônent leur développement.

Mais, pour en revenir aux lobbys, ils ne se contentent pas d'intimider les représentant·es d'ONG, ils multiplient également les écrans de fumée. Ainsi, pour rendre les paquebots « vertueux » il suffirait selon ces lobbys d’électrifier les quais des terminaux et de convertir la motorisation des bateaux de moteurs diesel au GNL, le gaz naturel liquéfié.

J'ai déjà à plusieurs reprises alerté sur les impacts environnementaux du GNL, importé de Russie ou fabriqué à partir du gaz de schiste américain et également sur ses impacts en matière de gaz à effet de serre.

En effet, si les lobbys mettent en avant une réduction des émissions de 30% par rapport à une motorisation thermique ils oublient les fuites de méthane liées au stockage et au transport amenant l'ONG Transport et Environnement à estimer qu'un navire se déplaçant au GNL émettait autant de méthane que 10 500 bovins. Rappelons que selon l'ONU le CH4 a un pouvoir de réchauffement plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (le CO2 ): https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/recit/les-emissions-de-methane-sont-lorigine-du-changement-climatique-voici

La situation est d'autant plus inquiétante que l'activité des croisières maritimes est en forte croissance, sans doute favorisée par l'accroissement des écarts de richesses, avec en 2023 +24% d'escales en France par rapport à 2019, année de référence avant la pandémie de COVID.

L'impact des paquebots étant 4,4 fois supérieur à celui du parc automobile pour l’oxyde de soufre, cela veut dire qu'en l'espace de 4 ans, le niveau de pollution lié à ce polluant a augmenté dans notre pays de l'équivalent de ce qu’émet la totalité du parc automobile.

C'est effrayant !

A l'aune de ces chiffres on mesure que la ZFE (Zone à faible émission), telle que conçue par Macron et ses Gouvernements, n'était peut-être pas la mesure la plus efficace pour lutter contre la pollution de l'air. En tout cas dans les villes disposant de terminaux de croisière maritime comme au Havre et à Rouen.

On mesure également l'aveuglement total de ce Gouvernement qui dit tout et surtout n'importe quoi en matière d'environnement et de santé publique.

On mesure enfin le poids des lobbys économiques qui parviennent à contrer les mesures législatives de l'Europe en faveur de notre santé et de la préservation de notre planète en alimentant une post vérité selon laquelle ce qui est en réalité destructeur de l'environnement devient un acteur de l'économie « durable ».

La tentative d'intimidation à son domicile qu'a subit Claire Nouvian illustre qu'un nouveau cap à été franchi et qu'il s'agit maintenant de faire taire les lanceurs et lanceuses d’alertes pour pouvoir continuer à s'enrichir par le pillage de notre planète, quitte à transformer celle-ci - et nous par la même occasion - en cadavre.

J'aurais attendu de la part du Gouvernement la dénonciation de cette agression et un soutien sans faille à Claire Nouvian et sa famille.

J’aurai surtout espéré qu’enfin, la cohérence s’impose dans les paroles et dans les actes de ceux qui nous gouvernent.

On a entendu le Président Macron feindre la colère contre un Gouvernement qui irait à l’encontre de ce que lui, Président, souhaiterait comme véritable politique écologique en faveur des océans. Pathétique jeu de posture où Emmanuel Macron déplore les effets dont il chérie les causes.

Car en vérité, qui a décidé de nommer ce Gouvernement qui s’appuie sur une coalition anti-écologique? Emmanuel Macron.

Qui prétend - à raison - protéger les fond marins de l’extractivisme minier tout en se faisant l’apôtre de la croissance et du développement sans limite de l’économie numérique pourtant grande consommatrice de terres rares et de matériaux stratégiques? Emmanuel Macron.

L’écologie n’est pas affaire d’éléments de langage. Elle est affaire de constance, de cohérence et de courage.

Une chose est de participer à des concours d’éloquence ayant pour thème l’écologie.

Une autre est de faire le lien entre les paroles et les actes.

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