Méthanisation : la nouvelle promesse intenable de l’agriculture industrielle

La guerre d’agression contre l’Ukraine a mis en lumière notre vulnérabilité énergétique, notre extrême dépendance aux énergies fossiles et notre retard dans la mise en œuvre d’alternatives déployables rapidement.

Je parle d’alternatives au pluriel car avant de nous poser la question de produire toujours plus d’énergie, nous devons d’abord repenser notre modèle de société :

  • Éviter : en supprimant certains usages, c’est ce que l’on appelle la sobriété énergétique.

  • Réduire :  en supprimant le gaspillage énergétique et en utilisant des systèmes moins consommateur, c’est ce que l’on l’efficacité énergétique.

  • Remplacer : en produisant à partir des énergies renouvelables pour les substituer aux énergies fossiles et nucléaire.

Ce triptyque implique des investissements massifs et rapides, des efforts pour accompagner la transformation de modèle pour éviter un choc économique et social. Mais il offre aussi d’incroyables opportunités : des emplois de qualité plus nombreux et non délocalisables, une autonomie énergétique et stratégique totale, une meilleure répartition des activités économiques sur l’ensemble du territoire, une augmentation du pouvoir de vivre avec la baisse des dépenses énergétiques et bien entendu, une amélioration de l’état écologique de la planète.

Mais si la nécessité d’un changement de comportement et des priorités est de plus en plus partagée dans la population, de nombreux acteurs politiques et surtout économiques, mobilisent des moyens considérables pour que rien ne change. Ils veulent préserver leur rente, quel qu’en soit le coût pour les générations présentes et futures.

Les plus « malins », ou devrais-je dire les plus cyniques, instrumentalisent le concept de transition écologique pour recycler de vieille recettes sous un vernis d’écologie.

Je pense par exemple à l’industrie de l’hydrogène qui produit aujourd’hui 95% de son hydrogène à partir d’énergie fossile !

Je précise que je partage la position de l’ADEME qui considère que l’hydrogène est indispensable à la transition énergétique mais à la condition exclusive qu’elle soit produite à partir d’énergies renouvelables et qu’on investisse dans la recherche pour améliorer les rendements énergétiques.

C’est pourquoi j’avais alerté en séance plénière la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, sur l’enthousiasme excessif qu’elle semblait projeter dans l’hydrogène.

Mais j’en resterai là sur ce sujet de l’hydrogène. Je serai amené à y revenir dans un futur article. 

Aujourd’hui, je souhaite évoquer le risque qu’une partie de notre agriculture soit dévoyée de sa mission première qui est de produire de la nourriture de qualité pour répondre aux besoins alimentaires de l’humanité, pour devenir des producteurs d’énergie.

On a eu déjà à subir une première vague avec le mirage des agro-carburants aux rendements énergétiques souvent médiocres - voire négatifs, avec des impacts néfastes sur l’eau et la biodiversité quand on fait brûler par exemple la forêt amazonienne pour produire de la canne à sucre ou qu’on multiplie les traitements chimiques massifs sur ces productions.

On est confronté aujourd’hui à une seconde vague avec le développement de la méthanisation combiné à un accroissement de la taille des unités de production.

Comme souvent, rien n’est simple en matière de transition écologique.

Sur le principe, la méthanisation part d’une bonne idée : récupérer les déchets issus des poubelles des ménages, de l’industrie (notamment des boues d’épuration) et de l’agriculture pour produire du biogaz qui pourra être utilisé pour faire rouler des bus ou être injecté dans le réseau.

Le bilan en matière de gaz à effet de serre est bien meilleur que la consommation d’énergies fossiles, au détail près de maîtriser les fuites de méthane. Sur une période de 20 ans, le CH4 à un effet de réchauffement 80 fois plus puissant que celui du CO2 ! Or, les 20 prochaines années seront décisives dans la lutte contre l’augmentation de la température moyenne terrestre.

En matière de ressources en eau, le sujet est encore plus sensible. D’une part, comme dit plus haut, les cultures dédiées ou intermédiaires utilisent souvent beaucoup intrants et d’autre part, l’épandage du digestat qui résulte de la méthanisation peut rapidement devenir un casse-tête.

À cela, il faut ajouter la concurrence potentielle sur la production alimentaire au moment où les lobbies productivistes en Europe essaient de remettre en question les politiques de jachère et de prairie sur l’autel de l’autonomie alimentaire.

En théorie, le système est sous « contrôle » puisqu’un méthaniseur agricole ne peut avoir que 15 % d’apports issus de cultures dédiés. Dans les faits les méthaniseurs ont massivement recours à des CIVE : cultures intermédiaires à vocation énergétique. Les CIVE sont censées pousser entre deux cultures mais quand la rentabilité du méthaniseur est très supérieure à celle de l’activité agricole, la tentation est forte de favoriser les CIVE au détriment des cultures primaires.

Bien sûr, tant qu’on reste à échelle humaine avec des petites unités de méthanisation, tous ces risques sont réduits à des niveaux acceptables.

Mais sous la pression du Gouvernement et des énergéticiens à la recherche de gisements, les agriculteurs sont encouragés à réaliser des unités de plus en plus grosses qui vont immanquablement être confrontées à des problèmes d’approvisionnement et impacter leur voisinage et l’environnement.

On peut d’ailleurs noter la volonté néfaste du Gouvernement de toujours plus simplifier les normes pour aller plus vite - « dans l’intérêt de l’environnement » prétendent-ils...

À cela s’ajoute l’attitude de certains porteurs de projets qui cherchent à contourner les règles. En effet, il existe un seuil à 30 tonnes par jours à partir duquel il y a une consultation du public et l’obligation d’une étude environnementale.

Face à la mobilisation toujours plus nombreuse des riverains, certains porteurs de projet déposent un dossier à moins de 30 tonnes puis, quelques mois plus tard, pendant la construction demandent une régularisation pour « accroissement de capacité ».

L’objectif de la manœuvre est de mettre les riverains devant le fait accompli pour qu’ils n’aient pas le temps de s’opposer au projet.

En la matière, la Normandie est loin d’être exemplaire avec une multiplication par quatre des projets en dix ans. Le nombre d’unités est ainsi passé de 41 en 2012 à 162 en 2022, principalement dans les départements de la Manche et de l’Orne.

L’enthousiasme de la Région Normandie pour le développement des méthaniseurs n’est pas surprenant. Il est aussi à l’image de sa politique agricole qui consiste à réduire les aides à l’agriculture biologique et favoriser le développement de l’agro-industrie.

Cela ne va pas sans provoquer, à juste titre, des initiatives citoyennes : l’association « Bien vivre dans le Perche » agit en lanceuse d’alerte contre le laisser-faire de la Région et les tentatives des promoteurs de développer leurs projets sous l’écran radar citoyen.

Le travail est ardu car le sujet est complexe. En attendant de réduire nos consommations d’énergies et d’améliorer l’efficacité énergétique, il faut bien trouver des alternatives aux énergies fossiles et au nucléaire.

L’Europe d’ailleurs soutien le développement de la méthanisation, notamment la méthanisation à la ferme. Mais l’échelon européen n’est pas le plus adapté pour évaluer si le projet est vertueux ou s’il est plutôt une tentative de détournement du dispositif pour faire de l’agro-énergie.

Ce sont les services de l’État qui sont le mieux à même d’apprécier la pertinence des projets et de faire le tri entre les effets d’aubaine et les agriculteurs engagés dans une démarche vertueuse. Malheureusement, leurs moyens de contrôle sont de plus en plus réduits et, par ailleurs, ils sont sous la pression d’un Gouvernement qui considère que l’avenir de l’agriculture passe par l’intensification de son industrialisation.

C’est en cela que le rôle d’association telle que « Bien vivre dans le Perche » est fondamental en permettant de détecter en amont les projets, de mobiliser la population et d’organiser la résistance des citoyen•nes, militant•es et élu•es qui considèrent qu’un autre modèle agricole est possible et surtout souhaitable.

Ce modèle souhaitable ne peut être qu’à taille humaine, en phase avec le terroir et les enjeux locaux, avec des circuits courts et résilients. Dans ce cas, la méthanisation a toute sa place pour participer à la réorganisation du territoire.

En revanche, la méthanisation ne doit pas servir d’alibi pour justifier la massification de l’agriculture, un encouragement à l’intensification de l’élevage, et un accélérateur de l’artificialisation énergétique des campagnes et des paysages.

La quête d’un nouvel eldorado qui passerait par un saut industriel supplémentaire de l’agriculture est une impasse. Non seulement, elle fragilise notre agriculture et notre autonomie stratégique, mais condamne aussi les paysans en les enfermant dans un modèle qui les rendent de plus en plus dépendants d’investissements et de subventions qui les éloignent de leur métier, et au final de la maîtrise de ce dont dépend leur subsistance… et la nôtre.

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