Le dérèglement climatique, ce tueur silencieux

Du 8 au 18 juin, Rouen a vécu sous le signe de l’Armada et de ses magnifiques voiliers.

Un évènement est passé inaperçu : le footing des marins et le défilé des kayaks qui devaient se tenir le samedi 17 juin a dû être annulé à cause du niveau pollution de l’air.

Toute la semaine les indicateurs de l’agence de la qualité de l’air, Atmo Normandie, se sont affolés avec des niveaux allant de « dégradé » à « mauvais » conduisant la Métropole à déclencher la gratuité des transports en commun.

Le polluant principal incriminé est l’ozone qui se forme en cette période de l’année à partir des émissions du trafic routier et des activités industrielles sous l’effet de la chaleur (oxydes d’azotes – NOX et composés volatiles – COV).

Cette pollution qui est déjà assez grave en soit, s’est accompagnée d’un risque élevé pour les pollens rendant encore plus difficile les conditions de vies pour toutes les personnes sensibles.

L’ozone est particulièrement nocif pour les personnes souffrant de maladies respiratoires chroniques mais entraînent aussi des conséquences graves pour l’ensemble de la population.

Ce polluant est au cœur de la crise environnementale actuelle car il ne pourrait dans de telles proportions sans nos consommations d’énergies fossiles. En outre, la production d’ozone est amplifiée par l’élévation des températures moyennes.

En dépit des nombreuses alertes et injonctions de l’Europe à agir l’État français n’a pas fait grand-chose.

Le « Make our Planet great again » prononcé par Emmanuel Macron en 2017 en réponse à Donald Trump a accouché d’une souris. Le constat est terrible, la France est très en retard que ce soit en matière d’économies d’énergies ou de production d’énergies renouvelables, notamment du fait de son obsession pour le nucléaire.

En matière de déplacements c’est encore pire. Sur les moyennes distances, l’État continue à subventionner le trafic aérien et la route au détriment du train.

Sur les courtes distances, l’État n’a rien fait pour soutenir le développement des transports en commun urbains préférant la politique des chèques énergies.

Ce choix a pour effet d’abandonner les citoyen•nes dépendant•es de leurs voitures à leur sort, avec des prix du carburant et des véhicules qui ne cessent d’augmenter. 

C’est d’autant plus grave que pour soulager la pression (légitime) qu’il subit de l’Europe en raison du non-respect des normes de qualité de l’air, l’État français n’a rien trouvé de mieux que de recourir à la contrainte. Il a ordonné aux métropoles françaises la mise en place de Zones à faible émissions (ZFE) : en fonction de leur date d’immatriculation les véhicules sont autorisés ou non à circuler.

Un parfait exemple d’injustice sous couvert d’écologie. C’est un comble de la part d’un gouvernement qui ne cesse d’insulter les militant·es écologistes jusqu’à les qualifier "d’écoterroristes" (sic).

Comment qualifier un dispositif qui discrimine le droit à circuler en fonction des ressources des gens ?

Et cela sans mettre des moyens de substitution à la voiture individuelle ?

Car l’État se défausse sur les collectivités locales pour trouver des solutions. Non seulement sans leur affecter de moyens nouveaux, mais aussi en baissant la fiscalité locale sans compensation. Comme au moment du mouvement social des gilets jaunes, l’accompagnement social de nos concitoyen·nes les plus captifs du modèle de déplacement dominant actuel n’est pas prévu. Aucun dispositif technique n’est prêt : guichet unique de demande d’aide, caisse d’avance pour les plus modestes, système de contrôle automatisé ...

C’est évidemment la pire des façons de s’y prendre pour résoudre un problème aussi sensible et structurel.

70 ans de déménagement du territoire au profit du déplacement par voiture ne peuvent pas être remis en question sans des investissements massifs et des accompagnements bienveillants vis à vis des citoyennes et des citoyens qui sont avant tout des victimes du modèle qu’on leur a imposé.

La priorité doit être donnée au développement des alternatives à la voiture individuelle : train, bus, covoiturage, vélo, marche et pour le transport de marchandise le ferroviaire, le fluvial et la cyclo logistique.

Pour cela il faut des moyens dont ne disposent pas les agglomérations ni les régions.

Pourtant de l’argent il y en a.

Le kérosène aérien n’est pas taxé, ni en France ni en Europe, alors que l’avion est le mode de transport le plus impactant pour l’environnement. Il faut à minima rétablir l’égalité de traitement. Je pense même qu'il faut aller au-delà en instaurant une taxe pour rétablir l’équité entre l’avion et le ferroviaire. Là où il faut des centaines de kilomètres de ligne pour permettre à un train de se déplacer, il suffit de quelques hectares à un avion pour décoller ou atterrir. Dans ce contexte, le train n’a pas l’ombre d’une chance par rapport à l’avion.

La route continue à être largement subventionnée sans oublier les surprofits dégagés par les sociétés d’autoroutes révélés par le Canard enchaîné. Il faut en premier lieu arrêter tous les projets routiers d’un autre siècle à l’image de l’autoroute A133-A134 à Rouen. Il faut ensuite mettre fin à la rente des concessionnaires d’autoroutes en nationalisant ces infrastructures. Il faut enfin rétablir l’équité avec les autres modes de déplacement en instaurant une fiscalité carbone ciblée sur les plus privilégiés affectée aux alternatives à la voiture individuelle.

Contrairement à ce qu’avait fait le Gouvernement avec la première écotaxe, la fiscalité écologique ne doit pas servir à financer des allégements d’impôts des entreprises (100 milliards pour le CICE) ou des plus riches, mais à financer la transition écologique en aidant les contribuables captifs, dépendant de leurs voitures, à pouvoir baisser leur dépendance à l’énergie fossile : alternative à la voiture, insolation des logements, c’est ce que j’appelle « le 13e mois écolo ». Bon pour la planète et bon pour nos porte-monnaies.

Pour relever le défi de la pollution qui tue chaque année près de 100.000 personnes dans notre pays (étude de Havard de février 2021) nous devons agir à la source en changeant en profondeur notre mobilité qu’elle soit pour le transport de personnes ou de marchandises.

Cela suppose de ne pas se contenter de coups médiatiques, comme l’annonce du Président de la République de RER dans 10 métropoles en France - à ce jour non financés, ni de se livrer à de sordides coups de billards à trois bandes en confiant à ses opposants politiques la mise en œuvre dans l’urgence de ZFE mal pensées et non financées.

Pour réussir il faut avoir le courage de réaffecter les richesses de plus en plus concentrées dans les mains d’une minorité là où elles sont nécessaires. Par ailleurs, il faut dégager des moyens en les réaffectant là où ils seront utiles. Cela signifie d’arrêter de subventionner ce qui est inutile voire dangereux pour l’environnement et la santé humaine pour privilégier ce qui est vertueux.

On en est malheureusement très loin avec un Gouvernement qui continue à protéger les superprofits de Total, veut construire une nouvelle autoroute à Rouen et stigmatise chaque jour davantage ceux qui se soulèvent en faveur du droit fondamental à vivre dans un environnement sain, et même à vivre tout court pour les 100.000 français·es qui meurent chaque année de la pollution de l’air dans notre pays.

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