Battre l’extrême droite. Aujourd’hui et demain.

Cette note pourrait tenir en une ligne : tout doit être fait pour empêcher Marine Le Pen de devenir Présidente de la République. Mais qu'on me comprenne bien : aucun prêchi-prêcha ne parviendra à déplacer une seule voix. Admonester ne suffit pas, et sera même sans doute contre-productif. Il faut convaincre. Ce qui signifie nager à contre-courant dans le flot des humeurs qui noient citoyennes et citoyens sous des vagues d'amertume.

La colère est le sentiment le mieux partagé du pays. S'y adjoignent dépit et lassitude démocratique. Notre pire ennemi se nomme indifférence. Sa puissance tient au fait que des millions de personnes se sentent totalement ignorées par la classe politique dans son ensemble, et décident donc de l'ignorer en retour. L'élection présidentielle est vécue par beaucoup de personnes comme un théâtre qui ne changera pas grand chose à leur existence. Un jour, il y a mille ans, elles y ont cru pourtant. Elles ont voulu croire que les promesses énoncées avec éloquence deviendraient réelles et amélioreraient leur condition. Mais rien n'est venu. Rien n'a changé.

Leur quotidien est demeuré cette assignation à résidence sociale, sans espoir de transformation. Leur travail s'est barré, délocalisé ailleurs par la force de la raison mondialisante. Leur horizon s'est rétréci au fur et à mesure que leurs problèmes grandissaient. Extension du domaine de la dèche.

Un jour, il y a mille ans, des millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens croyaient encore que nous vivions dans le même pays. Mais ce n'est pas le cas. Même nos imaginaires sont disjoints, comme des continents à la dérive. Convaincre, mais comment ? On ne se parle même plus. Après le divorce, l'intérêt général est parti sans laisser d'adresse. Alors forcément, quand on se pointe en VRP de la démocratie, on n’est pas super bien accueilli. « Ta camelote tu te la gardes. Et tes leçons de morale aussi. » À ce stade, nous voilà bien démunis. La désillusion de celle et ceux qui hésitent face à l'attitude à adopter pour le second tour, ou ont déjà décidé de pratiquer la politique du pire, est aussi difficile à franchir que l'Everest. La première marche est la plus haute : pour redevenir audibles, et entrer en discussion nous devons d'abord reconnaître que nous nous sommes plantés. Lamentablement.

Nous avons à la fois échoué à protéger les populations au nom desquelles nous prétendons agir de la violence des crises, et perdu la bataille culturelle face à l'extrême droite. Nos deux défaites sont liées. Faute d'avoir prise sur le réel, nous avons perdu pied dans les imaginaires. Au fur et à mesure que les classes populaires étaient abandonnées par la gauche de gouvernement, le Front national moissonnait le fruit de ses semailles funestes. Les écologistes ne sont guère, en réalité, responsables de cette situation. Mais nous sommes souvent mis dans le même panier que les autres politiques. Pour une large partie de la population, l'écologiste est un donneur de leçons comme les autres, il parle mais n'écoute pas, discourt mais ne dialogue pas, évangélise mais n'entend pas les prières qu'on lui adresse. Aurons-nous le courage de nous remettre en cause ?

La politique ne peut plus être le soliloque des élites autoproclamées. Elle doit redevenir la caisse de résonnance des enjeux qui déterminent les conditions d'existence du plus grand nombre. Si nous voulons que la pédagogie terrasse la démagogie nous devons quitter nos habits de Cassandre, comprendre les contradictions qui encasernent les possibles, et descendre du piédestal où campent les sachants. Un premier pas serait de cesser d'opposer le rationnel supposé de nos positions et l'émotionnel des réactions de rejet de notre discours. Quand nous ne parvenons pas à convaincre d'utiliser le bulletin de vote Macron pour battre Marine Le Pen, reconnaissons que l'émotion qui nous étreint se nomme peur et que les récalcitrant·e·s déclarant ne plus vouloir être pris au piège du front républicain ont de bonnes raisons. Leur colère ne vient pas de nulle part. Elle est légitime, documentée, informée. Elle est rationnelle. Et c'est en ceci, précisément quelle nous défie. Car la politique demande de trouver des arguments supérieurs à ceux qui dominent dans l'esprit de nos interlocuteurs. Si nous n'y parvenons pas, maudire celles et ceux qui ne pensent pas comme nous ne changera rien à l'affaire. Chaque heure qui passe doit au contraire nous voir chercher une issue inédite, un nouvel exemple, un argument plus marquant que les autres, pour arracher la conviction.

Il n'est jamais trop tard pour redécouvrir les vertus de la vraie discussion démocratique. Nous connaissons toutes et tous des personnes, proches ou éloignées qui ne veulent pas voter Macron pour battre Le Pen. Jamais converser avec elles n'a été plus nécessaires. Écouter. Parler. Et recommencer. Ne ménagez pas votre peine, n'économisez pas votre salive : chaque voix compte. Car nous ne voulons pas uniquement battre l'extrême-droite dans cette présidentielle, mais la faire reculer durablement dans le pays. Ce ne sera pas tâche aisée. Mais il est temps, grand temps, que le voile qui obscurcit les consciences se déchire, et que la décroissance politique et culturelle de l'extrême-droite soit enclenchée. Il ne s'agit plus uniquement d'établir un barrage provisoire et fragile, moins encore de prétendre convaincre par des arguments d’autorités qui ne s’adressent en réalité qu’à nous-mêmes, mais bel et bien de devenir une vague civique qui remporte durablement la bataille des idées.

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