Les camelots de l’argent roi

Cette semaine au parlement européen, les troupes de Victor Orban ont quitté le groupe du PPE. Cette famille de pensée n’est pas la mienne, mais comme nulle conscience démocratique ne peut se désintéresser des soubresauts de la droite européenne, j’accueille comme une bonne nouvelle le départ des amis d’Orban, qui ont préféré adopter la posture démissionnaire que subir celle du démissionné. Il était temps.  La question de la cohérence politique du PPE et de sa pusillanimité à l’égard des positions extrémistes défendues par le Fidesz était depuis longtemps posée. Il est heureux qu’elle trouve une réponse, au moins temporairement. 

J’écris temporairement, parce que les plus sévères des observateurs avisés de cette famille politique affirment que le libéralisme effréné des uns conduits nécessairement à l’illibéralisme des autres. Sans souscrire totalement à ce déterminisme, il faut se souvenir que voire illibéraux et libéraux cohabiter au sein du même groupe n’était pas le fruit du hasard, mais le fruit d’une longue décomposition de la droite européenne, tiraillée entre des pôles concurrents à défaut d’être opposés. 

Parfois c’est une lutte à mort qui est engagée entre les différentes tendances pour déterminer à qui reviendra le pouvoir. Mais il est d’autre cas où, au bout de leurs désaccords, les amis de la concurrence libre et non faussée et les tenants de l’autorité finissent par faire alliance. C’est alors la question de la gestion des flux migratoires qui sert de coagulant : en attaquant de concert les droits fondamentaux des personnes en situation de migration au nom de la défense de l’intérêt national, les droites balisent le chemin d’un programme commun qui ne dit pas son nom. Divisées sur le rapport à la mondialisation, divisées sur le rôle de l’État, divisées sur le souverainisme, divisées même sur ce qui relève ou nom la modernité, les droites se rejoignent opportunément pour faire du migrant la figure ultime de la menace qui pèserait sur nos sociétés.  Pour eux, l’ennemi qui cimente, c’est l’autre. 

Voilà pourquoi il faut prendre au sérieux les débats sur « l’union des droites » en France.  

Le débat Le Pen - Darmanin d’il y a quelques semaines était censé représenter l’opposition entre différentes visions politiques : j’y ai vu, derrière les simulacres guerriers, des convergences réelles.  Convergence des diagnostics. Convergences des imaginaires. Convergence des dénonciations. Vous me direz que je m’éloigne de mon sujet, « l’union des droites ».

Que nenni.

Si je reviens ici sur ce débat, c’est que le macronisme des origines se présentait comme un rempart contre le Front National. Pour ce faire, il a prétendu rassembler le meilleur de la droite et de la gauche. Tout le monde peut constater aujourd’hui que le pilier gauche est atrophié quand la jambe droite est au contraire hypertrophiée. Le « et en même temps » qui proposait une convergence du « bon sens » dans un cercle de la raison libéral censé constituer un vaccin opérant contre la tentation de l’extrême-droite a vécu. Il a muté vers une tentative de triangulation ultime et périlleuse où LREM vise désormais à déborder le RN sur ses terres en intériorisant le champ de bataille idéologique qu'il propose. Le macronisme est aujourd’hui plus à droite que jamais. 

 Et le rôle de Darmanin dans ce dispositif est de parler à la frange  la plus à droite de l’électorat. Il est en mission. Voilà pourquoi par exemple il pilonne régulièrement les écologistes : une fois sur la sécurité, et Pan sur Piolle, une fois sur les cantines et Pan sur Doucet. Peu lui importe les deux fois de mentir et de dénaturer les positions vertes défendues par des édiles légitimement élus à Grenoble et Lyon pour mener la politique qu’ils conduisent. L’essentiel est ailleurs, Les polémiques visent à le camper en défenseur de l’ordre et des traditions. Pour les mêmes raisons d’affichage droitier, Darmanin est autorisé à défendre Nicolas Sarkozy, fraichement condamné et à lui apporter « évidemment son soutien amical ». Peu importe qu’il soit ministre de l’Intérieur en exercice. Il doit témoigner de l’empathie pour le soldat Sarkozy, pour être au diapason des traumas du peuple de droite, courtisé par le candidat permanent qui occupe aujourd’hui l’Élysée. 

Le petit monde de la Macronie n’a eu de cesse ces dernières années d’afficher voire de surjouer la complicité avec l’ancien Président de la République pour soigner sa droite.  Sarkozy condamné, c’est un allié du pouvoir en place qui est frappé par la justice. Pas un adversaire. Jean Luc Mélenchon se trompe donc lourdement ou s’aveugle volontairement en voyant dans la condamnation de Nicolas Sarkozy un cadeau pour Emmanuel Macron. Sarkozy figurait une possibilité de recours permanent et compliquait de fait la tâche des dirigeants de droite désireux d’affronter Macron. Lui condamné, il semble que la voie est moins étroite pour les Pécresse, Bertrand, Retailleau et consorts. 

Mais la vie est ainsi faite, qu’un fantasme à peine éteint, un autre s’éveille.

S’avançant dans une opération de communication savamment orchestrée par la droite de la droite, voici Éric Zemmour intronisé présidentiable putatif. Un sondage qui, si loin de l’élection, vaut ce que valent les histoires à dormir debout le crédite quand même de 13% d’intention de votes… Comme démocrate, comme républicain, et comme citoyen attaché à mon pays et ses valeurs je veux écrire ici que ce qu’il représente doit être combattu sans relâche.

Mais justement ne soyons pas dupes et ne tombons pas dans le panneau.

Je refuse de subir le feuilleton au long cours de ses hésitations, de ses regrets, de ses emportements.  L’essentiel est ailleurs. Dans la course de fond de la recomposition des droites, Zemmour n’est qu’un lièvre, le défricheur des passions mortifères sur lesquelles une partie de la droite rêve de prospérer. 

D’une certaine manière, le véritable artisan de l’union des droites est  bien davantage Vincent Bolloré, qui réalise de fait la fameuse synthèse entre ultralibéralisme financier et illibéralisme identitaire. Bolloré aspire en fait à régner sans être candidat, par le seul pouvoir de son carnet de chèque et rêve d’un monde où aucune limite ne s’impose à sa rapacité.  Ni la fiscalité, à laquelle il se soustrait au maximum, comme révélé par l’Open Lux, ni la démocratie qu’il n’hésite pas à corrompre en jouant de ses réseaux pour perpétuer la françafrique et installer des dirigeants qui faciliteront ses affaires.  On pensait que C news représentait la puissance financière de l’argent roi mise au service de la rhétorique de la droite identitariste. On se trompait. C’est le contraire.  L’actualité des derniers jours à encore rappelé que chez Bolloré tout doit rapporter.  Rien n’est gratuit. Zemmour et consorts s’imaginent en rempart national,  mais ils ne sont les clown tristes qui assurent l’audience du Cirque Bolloré, les camelots de l’argent roi. 

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