Souviens toi de Fukushima

La catastrophe de Fukushima, dont nous commémorons tristement ces jours-ci le dixième anniversaire, appartient à la mémoire de l’humanité. Elle fait partie de ces évènements planétaires qui forgent une conscience commune. Sur place les routes ont été réparées, pas les traumatismes. Fukushima c’est un passé qui ne passe pas, ce sont des déplacés qui ne reviennent pas, et des centaines de milliers de mètres cube d’eau contaminée que le Japon veut déverser dans l’océan dès 2022 faute de pouvoir continuer à les stocker. Pourtant, au fur et à mesure que s’éloigne le souvenir des évènements, s’affaiblit également la prégnance des dangers. Alors il faut lutter contre l’oubli et se souvenir que Fukushima est à la fois le nom d’une catastrophe naturelle et celui d’une catastrophe industrielle. La sagesse commande de ne pas délier les deux tenants de la catastrophe, et au contraire de penser la tension qui les réunit. Postuler que les catastrophes naturelles peuvent advenir, c’est en effet sortir de notre statut de démiurges et comprendre que la technologie n’est pas toute puissante. L’ancien premier ministre Japonais Naoto Kan a lié la catastrophe de Fukushima à l’orgueil humain. La commission d’enquête parlementaire ayant eu à rendre un avis a elle aussi mis en avant la chaine des responsabilités humaines. Fukushima n’était pas le fruit du hasard mais bel et bien l’enfant de notre arrogance. En réalité, les menaces que le nucléaire fait peser sur nos sociétés ne pouvaient ni ne devaient être ignorées. Elles l’ont pourtant été.

 

10 années se sont écoulées depuis le tsunami, mais déjà les leçons de Fukushima s’estompent. Le temps qui passe dépose son manteau d’oubli sur nos esprits. Le même déni s’habillant des oripeaux de la fausse rationalité qui a conduit à la catastrophe prospère toujours aujourd’hui. Et voilà, que dans un contexte nouveau, les fabulistes du nucléaire sans danger retrouvent de l’audace, de la voix, et de l’écho. Ils se drapent désormais dans des habits neufs : si hier ils affichaient une belle indifférence à la question de la protection de l’environnement, ils prétendent aujourd’hui défendre le nucléaire au nom de la préservation du climat. Ils nous disent en substance ceci : « Si vous voulez sauver le climat, acceptez le nucléaire qui est la seule énergie capable de répondre à la nécessité de décarbonation de notre consommation d’énergie ».

 

Il est troublant mais révélateur de constater combien les arguments d’hier ont muté au fil du temps. Il faut dire que le mythe du nucléaire sûr, bon marché et garantissant l’indépendance énergétique de la France a vécu. Le nucléaire est une technologie dangereuse dont nul ne peut garantir la sécurité… Et les conséquences d’un accident dont la probabilité est significative sont celles que l’on sait. Le nucléaire est de plus en plus cher quand les énergies renouvelables le sont de moins en moins. Le nucléaire ne garantit aucune autonomie à la France car nous ne détenons pas de ressources d’uranium. Hier encore les croyants du nucléaire expliquaient qu’il était une chance. Ils prétendent aujourd’hui que nous n’aurions pas le choix. Leur ultime argument étant cette affirmation d’autorité.

 

Face à eux, nous continuons à défendre la nécessité écologique et la possibilité technologique d’une transition énergétique basée sur la sobriété et un passage rapide aux énergies renouvelables. J’ajoute, au renfort de notre position un argument d’ordre économique : la rentabilité du nucléaire est condamnée. Le désastre industriel que représente les échecs des réacteurs de type EPR en témoignent ; tout comme la faillite d’AREVA et la dette abyssale d’EDF. Le projet de démantèlement de l’énergéticien historique français, baptisé Hercule, est aussi imposé par l’impossibilité de faire face au mur d’investissement que représente l’entêtement nucléaire. Le « fleuron » s’avère être un boulet. Comme dans la pièce « Amédée », le cadavre ne cesse de grandir dans une « progression géométrique » ; et plus le temps passe, plus il est difficile de s’en débarrasser… Mais contrairement à la fin de l’œuvre de Ionesco, ce cadavre-là ne s’envolera pas dans les airs. Au contraire… Le démantèlement à venir et la gestion des déchets sont autant de cercueils dont on ne peut construire le caveau… Le projet délirant CIGEO à Bure démontre la perte de mesure qu’implique et impose la croyance nucléaire. Les déchets produits les plus dangereux ont une durée de radiation qui dépasse les 100 000 ans. Quelle civilisation peut accepter, pour le confort énergétique de 3 ou 4 générations, de léguer des déchets mortellement dangereux aux 4 000 générations qui vont lui succéder ?  Et, de surcroît, qualifier ce fait de « progrès », tandis que celles et ceux qui le dénoncent seraient des obscurantistes ?

 

S’il m’est enfin permis d’évoquer des réalités géopolitiques, je ne pense pas que le nucléaire, au regard de sa fragilité mais aussi de la complexité, de l’inertie, et de la lourdeur des process techniques et technologiques qu’il impose soit le meilleur moyen d’assurer à moyen ou long terme notre souveraineté. Bref, certains de notre fait, armés des études scientifiques qui prouvent qu’une France alimentée à 100% par des énergies renouvelables est possible, nous acceptons sans difficulté le débat. La question d’ailleurs n’est pas uniquement française. L’avenir de la transition énergétique européenne ne réside pas davantage dans le nucléaire. L’Union européenne a les moyens de prendre le virage des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Manque la volonté. Comme si les intelligences étaient tétanisées par les changements à accomplir. Chaque jour qui passe rend pourtant davantage nécessaire la transition énergétique, et chaque seconde de procrastination autorisée par de faux arguments crée une situation plus néfaste pour la planète. 

 

Qu’on me comprenne bien. Je ne plaide pas pour la mise sous le boisseau du débat énergétique. Au contraire, de tout ceci il est sain de discuter cartes sur table, et de soumettre à l’intelligence collective de notre corps social les arguments qui permettent à tout le monde de comprendre de quoi il retourne. Jamais les écologistes n’ont refusé la discussion. Au contraire, sur le nucléaire comme sur d’autres sujets, le dogmatisme autoritaire, parfois violent, les intimidations et l’opacité n’ont jamais été du côté des écologistes. Alors disons les choses avec clarté : je conçois que l’on soit pro-nucléaire. Mais en démocratie, on doit chercher à éclairer les choix politiques opérés par nos concitoyennes et concitoyens.

 

Voilà pourquoi, au moment de réévaluer les implications du mix énergétique français, je refuse que ne soient pas abordés les risques que nous font courir les centrales nucléaires. Le fait de systématiquement minorer l’importance des risques, n’est pas seulement malhonnête. C’est également une attitude coupable, puisqu’elle vise à maintenir la population dans le déni des risques encourus.

 

Je n’ignore pas que déterminer la politique énergétique demande de combiner des paramètres divers. Mais, puisqu’il faut trancher, j’affirme qu’une politique énergétique basée sur le maintien du dogme nucléariste bafoue le droit de la population résidant à proximité des centrales à vivre en sûreté, fait peu de cas du principe de précaution et aggrave le retard de notre pays en matière de renouvelables. On dit que Jules César se faisait répéter, au plus beau de ses victoires, « memento mori ». (Souviens toi que tu es mortel), pour ne pas perdre le sens des réalités. En matière de prévention des risques nucléaires, il convient de rappeler un impératif simple : « Souviens-toi de Fukushima. »

Précédent
Précédent

Relance ou sursaut?

Suivant
Suivant

Les camelots de l’argent roi