Relance ou sursaut?

L’état actuel du débat public sur les plans de relance interdit quasiment de s’interroger sur le contenu de la relance et de questionner ce concept en lui-même. La pandémie planétaire que nous vivons représente un tel choc, que nous sommes sommés de mettre en berne toute volonté de transformation du modèle économique dominant au moment même où la situation créée par cette pandémie appelle pourtant à une bifurcation d’ensemble de nos sociétés. 

 

Pourtant, lors du premier confinement au début de l’année 2020, une prise de conscience salutaire semblait avoir essaimé dans la société. Elle reposait sur le fait que l’origine et le rythme de propagation de la pandémie n’étaient pas étrangers à notre modèle dit « de développement » : chute de la biodiversité, élevages intensifs, échanges internationaux frénétiques. Cette prise de conscience reposait aussi sur la réévaluation de ce qui compte vraiment : les métiers indispensables, la santé, la convivialité, bref : Ce dont dépend notre substance et qui nous est essentiel. Face au choc, « le monde d’après » semblait une perspective qui remettrait les choses dans le bon ordre.

 

Près d’un an plus tard, la force d’inertie des réflexes économiques traditionnels a fait son œuvre.

 

Les indicateurs dont nous disposons montrent que la crise a fait encore reculer d’un cran sur la cordée les plus fragiles et les classes moyennes tandis qu’en haut, toujours plus près des cimes, les premiers de cordées ont vu leurs richesses augmentées, de plus en plus déconnectées du sort du commun des mortel.

 

Jamais plus que durant cette crise, le modèle économique actuel n’est apparu d’avantage éloigné des réalités terrestres.

 

 

Celles et ceux qui plaident pour une mutation économique notamment basée sur un verdissement des investissements se voient opposer une fin de non-recevoir, dument motivée par l’impérieuse nécessité de sauver les secteurs frappés de plein fouet par la crise engendrée par la Covid19, et ainsi laisser prospérer les détenteurs de position dominante que même une crise sanitaire et économique mondiale ne semble pas ébranler.

Alors, rien de neuf sous le soleil ? Pas exactement.  On ne peut que constater que la pandémie a eu des effets sur la tectonique des plaques politique. 

 

Ainsi, des dogmes intangibles hier encore vacillent sous l’effet de la crise que nous traversons : les moins dépensophiles consentent soudain à ouvrir grand les vannes budgétaires. Les milliards pleuvent désormais, quand hier on nous répondait que les marges de manœuvre n’existaient pas. On a beau débattre de l’existence ou non de « l’argent magique » et, en conséquence, du fait de savoir si oui ou non il faudra rembourser la dette Covid, globalement l’heure est à la relance et à la recherche de la croissance.

 

Voilà pourquoi je déplore que le débat sur la dette prenne tant de place. Non pas qu’il n’ait pas d’importance, je reconnais bien volontiers et sans mauvais jeu de mots, qu’il est capital. Néanmoins, la question de l’annulation ou non de la dette ne doit constituer ni un totem, ni un tabou.

 

Car se déchirer à belles dents sur la possibilité, la nécessité ou les modalités du remboursement ne doit pas nous détourner du débat premier qui doit nous préoccuper et qui se résume en deux questions simple : Qui paye ? Et pour quoi faire ?

 

Il faut remettre les bœufs avant la charrue.

 

Qui doit payer ? L’Union Européenne a prévu rembourser les 750 milliards du plan de relance européen par de nouvelles « ressources propres » européenne. Il y a un enjeu majeur à faire en sorte que non seulement ces nouvelles ressources propres soient créées, mais aussi qu’elles visent ceux qui, aujourd’hui, échappent à l’impôt. Qui sont-ils ? Principalement ceux qui font profit de l’économie financiarisée, qui spéculent sur la prédation et l’usage de ressources naturelles, les majors de l’économie numérique et de plateforme. Ce sont aussi les secteurs qui peuvent le plus aisément contourner les règles d’imposition… Pour répondre à cette problématique, plusieurs pistes sont à l’étude : la lutte contre les paradis fiscaux, la taxe sur les transactions financière, la fiscalité des Gafam et du plastique, mais aussi La fiscalité carbone à l’intérieur de nos frontières combinée avec une contribution carbone aux frontières, la recherche d’un taux unique minimum d’imposition des entreprises. Mais ces projets manquent d’ambition, avec des taux trop limités et sont bien trop lents à mettre en œuvre. C’est pourtant une urgence absolue à la fois pour financer des investissements, mais aussi pour redonner du sens à notre économie grâce à la fonction incitative que doit avoir la fiscalité.

 

Seconde question : À quoi doit servir cet argent ? On nous dit que les plans de relance nous sauvent. Peut-on postuler, sans provoquer l’ire des orthodoxes que rien n’est moins certain ? 

 

Pour être bien compris et éviter les faux débats, disons d’abord une chose : les plans de relance sauvent des emplois et ce n’est pas rien.  Personne ne peut être indifférent à ce paramètre. La violence de la commotion sociale engendrée par le virus et ses conséquences se trouve de fait amortie par les plans de relance. C’est toujours ça de pris.  Celles et ceux qui luttent pour maintenir leur activité, pour sauver leur entreprise, pour ne pas licencier, pour ne pas tout simplement disparaître savent de quoi il est ici question. 

 

Mais les crises sont aussi des moments de choix, des « momentum ». Et de ce point de vue les plans de relance aujourd’hui applaudis sont gros des crises de demain. Faute d’avoir engagé une stratégie volontariste de transition, nous restons prisonniers du modèle qui a conduit le monde au bord du gouffre.

 

L’étude rapide des plans de relance, démontre qu’ils nous maintiennent dans une économie thermo fossile alors qu’il est vital, au sens propre du terme, d’en sortir.  Pour sauver la planète, ou plus exactement pour proposer une perspective heureuse à l’humanité, le capitalisme extractiviste devrait vivre ses derniers jours au profit d’une économie décarbonée, mais tout se passe comme si le statu quo allait perdurer encore longtemps. A l’échelle européenne, aucune politique de désinvestissement digne de ce nom ne voit le jour. Par ailleurs, on parle de green deal, mais la part des investissements verts progresse à dos de tortue quand il faudrait chausser des bottes de sept lieues. Le slogan sauver l’économie s’est substitué à l’impératif de sauver le climat. A ce stade, la pandémie n’est pas l’accoucheuse du monde d’après mais bien davantage le fossoyeur du changement. Maudite soit donc cette pandémie qui nous prive de la présence de nos proches, désagrège le lien social mais de surcroit inhibe les intelligences et attache solidement les politiques aux piquets de l’instant quand nous devrions faire du long terme l’étoile du berger qui guide les politiques publiques. Le court-termisme aveugle les dirigeants.   

 

L’idée que la relance peut et doit se faire à tout prix est dangereuse. Il faut faire pivoter nos représentations collectives. Nous avons besoin d’une approche holistique qui comprend que les dimensions sanitaires, environnementales, économiques et sociales de la crise que nous traversons sont enchevêtrées, et partant de là, vise à refonder notre modèle.

 

A celles et ceux qui seraient tenté de me répondre que l’heure n’est pas à l’idéologie je dirais deux choses. La première c’est que l’idéologie - voir le dogme - ne réside pas dans les esprits qui réclament un changement mais plutôt dans l’entêtement qui consiste, contre toute évidence, à affirmer que le modèle actuel est pérenne. La seconde chose, et ce sera ma conclusion provisoire, c’est que le pragmatisme commande d’être radical - au sens étymologique du terme - c’est à dire d’agir à la racine des problèmes et d’agir vite pour ouvrir une autre voie que celle sur laquelle l’humanité est engagée. 

 

Pour nous sauver vraiment, les plans de relance ne peuvent continuer à tourner le dos à l’urgence écologique.  L’heure est au sursaut.

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