Exposition d’Emmaüs Europe au Parlement européen : discours de David Cormand

Mercredi 31 janvier, David Cormand accueillait au Parlement européen une exposition initiée par Emmaüs Europe pour célébrer les 70 ans de l’appel de l’Abbé Pierre. Voici le discours qu’il a prononcé.

Bonjour à toutes et à tous,

Merci de votre présence pour inaugurer cette cette exposition imaginée par Emmaüs Europe que je remercie pour son initiative notamment Carina Aaltonen qui parlera tout à l'heure (…).

Je suis ici plein d'émotion devant celui dont nous voulons honorer aujourd'hui les combats. Je ne suis pas familier des anecdotes personnelles, mais figurez-vous que je suis Normand. Élève de collège à Canteleu, en Seine-Maritime, je faisais partie des journalistes en herbe du journal de notre établissement. Et en 1986-87, je ne sais plus, notre professeur, qui s'appelait Monsieur Fossard, qui se chargeait de nous accompagner dans la réalisation de ce journal, avait décroché une interview de l'abbé Pierre qui peut-être vous le savez, allait en retraite à cette période-là à l'abbaye de Saint-Wandrille, à quelques kilomètres du collège où j'étudiais. Et je garde le souvenir de cette rencontre improbable entre cet homme illustre et, nous autres, trois adolescents de ce collège de banlieue de Rouen. Et je pense avoir compris alors que, pour l'abbé Pierre, l'audience que pouvait avoir notre interview dans notre journal du collège n’avait aucune importance car pour lui, tout le monde comptait et tout le monde compte. C'est un credo qui était le sien et qui, je crois, beaucoup d'entre nous devraient avoir à l'esprit, au moment où on a l'impression que certains comptent beaucoup plus que d'autres.

On aurait pu espérer, 70 ans après, le vibrant appel de l'abbé Pierre, qu'un besoin aussi élémentaire que de disposer d'un toit pour soi et pour les siens soit devenu un acquis.

Pourtant, en Europe,

  • 22 % de la population est menacée de pauvreté ou d'exclusion sociale - un quart de la population du premier marché économique mondial,

  • 15 millions de ménages dépensent plus de 40 % de leur revenu pour pouvoir se loger,

  • 34 millions de ménages vivent dans un logement sur occupés,

  • 15 millions de ménages sont en précarité énergétique,

  • 29 millions de ménages vivent dans un logement humide,

  • 27 millions de ménages vivent dans un logement situé dans une zone identifiée comme particulièrement polluée,

  • Et 900 000 ménages sont sans domicile

Ces chiffres datent de 2020, soit avant la crise de l'inflation que nous traversons aujourd'hui.

Il y a dix jours à peine en France, en 2024, un homme sans domicile fixe de 76 ans a été retrouvé mort dans sa voiture. Mort de froid. Cinq personnes sont mortes de froid dans la rue depuis le début de l'année en France. Ces femmes et ces hommes sont morts de froid car elles et ils n'avaient pas de logement.

En France, plus de 300 000 personnes sont sans abri et plus de 4 millions vivent dans des conditions de logement précaires, dont de nombreux enfants. Si, 70 ans après l'appel de l'abbé Pierre à l'insurrection de la bonté, nous sommes toujours face à ces injustices, cela s'explique par une seule et unique raison : l'absence de volonté politique de mettre fin au mal logement et à la précarité en général. Et derrière cette absence de volonté politique, il y a un mépris des pauvres.

De ce point de vue, je ne peux pas me taire sur le discours de politique générale du nouveau Premier ministre français, Gabriel Attal, qui a remis en cause un acquis majeur de la loi française sur la politique du logement social. Cette politique s'appuyait sur une loi de la solidarité et du renouvellement urbain qui visait 25 % du logement social pour les pauvres dans les communes urbaines.

Le Premier ministre a annoncé que le logement intermédiaire serait inclus dans ces 25 %. Cela signifie, dans les faits,

  • précariser les plus précaires,

  • stigmatiser les plus pauvres

  • et opposer les classes modestes et moyennes les unes aux autres.

Cette loi avait déjà été attaquée en 2006. L'abbé Pierre avait dû alors sortir de sa retraite pour adresser ce qui a été son ultime message.

Je le cite : « Faites pression sur les élus pour qu'aucun ne s'abaisse à cette indignité de ne pas respecter la loi. »

Ce choix de la France aujourd'hui n'est pas seulement une insulte à la mémoire de l'abbé Pierre, c'est surtout un mépris vis-à-vis du combat d'une vie et à l'encontre de toutes celles et ceux au nom desquel·le·s il l'a mené.

Quand nous avons coorganisé cet événement avec Emmaüs Europe, nous ne savions pas qu'il y aurait cette actualité. Nous voulions réaffirmer haut et fort des principes simples et néanmoins vitaux, existentiels.

L'accueil sans restriction de celles et ceux qui sont laissés pour compte, les sans-abris, les sans droits et leur donner un toit, de quoi manger et de nouvelles raisons de vivre.

La garantie pour tout être humain de la confiance et du respect qui lui sont dus, notamment en permettant à chacun de retrouver par le travail l'autosuffisance et de vivre sa dignité d'êtres humains.

La possibilité pour chacun de devenir acteur de la solidarité envers les plus démunis.

Il est temps de rompre avec la logique purement spéculative du marché immobilier et d'adopter des politiques qui garantissent un logement abordable pour tous. Un investissement massif dans le logement social, mécanisme pour éviter la spéculation et la rente immobilière, limiter la flambée des prix des logements. L’Union européenne doit être protectrice sur cet enjeu majeur pour faire de l'éradication de la misère le socle de notre projet européen. Nous devons impérativement intégrer des personnes en situation de pauvreté à tous les processus d'élaboration des lois et programmes européens.

Nous, écologistes, proposons la mise en place d'un droit de veto social, un outil pour qu'aucun texte européen ne puisse être adopté s'il affecte négativement les 10 % les plus pauvres des Européennes et des Européens. Nous proposons aussi qu'un débat sur ces enjeux ait lieu en session plénière la semaine prochaine à Strasbourg pour porter la voix des sans voix dans l'hémicycle du Parlement européen.

Notre objectif est clair et je pense, partagé par les personnes ici présentes. Je vous invite à venir échanger avec les représentants et représentantes d'Emmaüs Europe qui nous font l'honneur d'être ici aujourd'hui.

Je vous remercie.

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