Déplacement à la Martinique : Moïse et les melonniers

Depuis dimanche, une vidéo tournée à la Martinique enflamme les réseaux sociaux. Elle montre un gendarme français, blanc, dire à un activiste martiniquais, noir, les propos suivants : « C’est grâce à nous que vous avez la CAF et le RSA ». Cette scène s'est passée sur les terres de Moïse Loumengo. J'y étais quelques heures avant l'arrivée de ce gendarme, et j'ai rencontré Moïse. Je vous raconte son histoire, une lutte écologique locale.

Moïse Loumengo est le propriétaire d’une terre léguée par son père, assujettie aux impôts fonciers et aux droits de succession. Il veut y développer l'agriculture bio d'espèces locales, enjeu de souveraineté alimentaire pour la Martinique qui doit importer son alimentation.

Jusque-là tout va bien ? En fait, le cousin de Moïse lui conteste la propriété, et il s’est arrogé le droit de louer la terre aux melonniers des Caraïbes… Au problème de respect de la transmission s’ajoute donc une problématique écologique.

Le melon, les aberrations

La culture intensive de melons, sur ces parcelles, est une aberration. D’abord, elle est pratiquée sous plastique – et c’est extrêmement dommageable pour l'environnement, comme le rapportait par exemple France-Antilles Martinique, dans cet article de 2010 :

Les plastiques asphyxient la terre. À quelques encablures de la Plantation Sainte-Marthe, sur un terrain autrefois occupé par des melonniers, des plastiques noirs sont visibles dans la terre. Éric Péroumal, maraîcher qui a longtemps travaillé dans le melon au sein de plusieurs groupements, indique que certains melonniers sont en grande partie responsables de cette situation. « À cet endroit, le propriétaire avait loué à des melonniers et ils ont laissé les plastiques dans la terre en partant. Ça ne se dégrade pas évidemment ! » , s'insurge Éric Péroumal.

Les melonniers des Caraïbes utilisent aussi beaucoup de pesticides, une autre aberration sur une île déjà traumatisée par le chlordécone. Ce pesticide utilisé dans les bananeraies des Antilles françaises a engendré une catastrophe environnementale et un scandale sanitaire pour les populations et écosystèmes de la Guadeloupe et de la Martinique (à écouter, par exemple, ici, sur France Inter).

Enfin, la culture du melon, qui a déjà rendu infertiles les terres alentours, menace un Grand Site de France situé en contrebas. Classé depuis 2022, « Des Salines à la Baie des Anglais » abrite mangroves et lieux de reproduction de tortues marines !

La lutte écologiste

Heureusement, un collectif s’est constitué pour soutenir Moïse et protéger l’environnement. Les militant·e·s se réunissent tous les dimanches à la Saline Dillon, sur les exploitations de melons, où je les ai donc rencontré·e·s.

Pour occuper le terrain face aux melonniers, les militant·e·s des Salines viennent planter du manioc – une plante sud-américaine, vivrière, qui nécessite moins de pesticides. Ils se chargent aussi de retirer le plastique…

Cette lutte écologiste d’émancipation illustre la force de l’action collective face aux volontés conjointes d'accaparement des terres aux profits d’intérêts puissants, d'exploitation de la nature et de perpétuation de domination de personnes noires descendantes d’esclaves.

En Martinique comme dans les autres territoires dits d'Outre-Mer, ces injustices pèsent encore et sont la persistance rétinienne de vielles turpitudes : la culture extractiviste et la domination coloniale (cf. les propos tenus par le gendarme) sont les deux faces d'une même pièce.

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