L'eau, la mère de toutes les batailles

Le projet de Loi Duplomb nous a rappelé que l'accès à l'eau était un sujet majeur en France tant en quantité qu'en qualité. La censure partielle de la Loi a non seulement empêché la réintroduction des néonicotinoïdes mais elle a également partiellement bloqué la possibilité de multiplier sans régulation l’édification de méga bassines sur lesquelles les tenants de l'agriculture industrielle comptent pour maintenir le modèle.

Certes, vous pourriez me dire que la Normandie n'est pas la région la plus en difficulté en matière d'accès à l'eau.

C'est en partie vrai.

Pour le moment …

Mais elle a toutefois connu des périodes de sécheresse, y compris hivernale et la carte ci-après de Météo France indique que nous ne faisons pas partie des régions avec le plus de précipitations, notamment pour ce qui concerne nos départements ruraux de l’Orne et de l’Eure :

Ce n'est pas le seul indicateur qui indique que l'eau se raréfie en Normandie. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) publie régulièrement l'état des nappes d'eau souterraine.

La carte ci-après montre que si les réserves sont correctes dans l'ex Haute-Normandie, la situation est plutôt inquiétante en ex Basse-Normandie, notamment dans le département de la Manche.

Néanmoins, quelque soit le niveau des réserves souterraines en Normandie vous noterez que les flèches sont orientées vers le bas dans notre région, indiquant une dégradation de la situation, comme presque partout en France ...

Si cela n'est pas suffisant pour vous convaincre que même en Normandie l'eau se raréfie, l’État a été amené à prendre des mesures de restrictions d'eau fin août dans trois départements normands avec des situations d'alerte, voire d'alerte renforcée.

Vous pouvez retrouver jour par jour les informations sur le site « Vigieau » :

Face à la raréfaction de la ressource nous avons trop souvent tendance à apporter des réponses techniques : il suffit de recycler l'eau, de créer des mégabassines voire de désaliniser l'eau de mer et tous nos problèmes seront réglés.

Ce n'est pas du tout l'avis du Conseil scientifique du Comité de bassin Seine-Normandie qui, dans un récent rapport de juin, nous exhorte à changer de logiciel en recourant en priorité à la sobriété.

Il regrette notamment que :

« Les actions promues et soutenues face au risque sécheresse sont le plus souvent en premier lieu la mobilisation d’autres ressources en eau, puis l’amélioration de l’efficacité, et en dernier lieu seulement (voire pas du tout) les actions portant sur la sobriété, alors qu’elles devraient être prioritaires. »

Il définit la sobriété ainsi :

«  Il s’agit de s’organiser collectivement et culturellement pour adapter les modes de production et la consommation en eau à la satisfaction des besoins dans les limites des ressources planétaires. »

Par exemple, remettre en question l'élevage intensif consommateur de céréales et donc gourmand en eau.

Le Conseil scientifique rappelle que la France a adopté un Plan Eau en mars 2023 après la sécheresse de 2022 et que ce dernier impose une réduction des prélèvements en eau en France de 10 % d’ici 2030.

L'initiative de la France n'est d'ailleurs pas isolée puisque la Commission européenne a elle-même publié le 4 juin dernier la Stratégie européenne pour la résilience dans le domaine de l'eau avec des objectifs comparables.

En transparence, la Commission constate l'échec de la Directive cadre eau de 2008 et estime que d'ici 2030 la demande en eau mondiale dépassera de 40% les ressources disponibles.

Au delà des préoccupations de l'Europe sur la raréfaction de la ressource elle s'inquiète également de la dégradation de la qualité de l'eau liée aux pollutions dont elle évalue l'impact socio-économique :

  • Pour les seuls PFAS, polluants éternels, l'impact sur la santé humaine est évalué entre 52 et 84 milliards d'€ par an, soit entre le tiers et la moitié de la totalité du budget de l’Union européenne.

  • Mais si on s'intéresse à l'impact des azotes utilisés dans l'industrie mais surtout dans l'agriculture, les impacts sociaux-économiques sont estimés sur une fourchette très large entre 75 et 485 milliards d’€ par an, c’est à dire jusqu'à 3 fois le budget annuel de l’UE...

Malheureusement, la Commission européenne ne tire pas les leçons de son propre diagnostic et ne propose que des mesures timides qui donne la part belle aux intérêts économiques dominants au détriment de l’intérêt général et de la majorité des agriculteurs et agricultrices.

La France ne fait malheureusement pas mieux, voire pire si on en croit le bilan du Plan Eau publié par l’État en mars 2025.

Si le dossier de presse de 28 pages insiste sur le fait que « 100% des [53] mesures ont été initiées », le schéma ci-joint, qui figure en page 7 du document, illustre l'échec de la politique française.

En effet, alors qu'on s'est fixé pour objectif de diminuer nos consommations de 10% en 2030, on constate que depuis 2020, presque partout en France, celles-ci vont augmenter, y compris en Normandie.

La carte de gauche indique ce qui serait advenu si l’État n'avait pas décidé de Plan eau.

La carte de droite ce qui pourrait advenir si on appliquait les principes de sobriété du Conseil scientifique.

La carte du milieu ce qu'il adviendra, au mieux, si les politiques publiques en faveur de l'eau sont menées à bien. Vous noterez que pratiquement toute la France et en jaune ou orange y compris la Normandie.

On peut même craindre que la situation se dégrade davantage puisque le document rappelle que l’énergie représente aujourd'hui 47 % des prélèvements et 14% de la consommation en eau. Pourcentage qui est amené à s’accroître si les courbes de développement des infrastructures et d’usages numériques - qui consomment, entre autres ressources, énormément d’eau - se confirment. Même problématique si le programme de relance du nucléaire avec initialement 6 puis 14 nouveaux EPR était mené à bien.

Nos politiques actuelles nous conduisent dans le mur car elles ne tiennent aucun compte des limites planétaires. Elles nous coûtent par ailleurs chaque année plusieurs centaines de milliards d'€ en impacts sanitaires et sociaux économiques. Pourtant, ces sommes sont nécessaire pour conduire la bifurcation écologique dans la justice sociale dont nous avons besoin pour que l’Humanité puisse simplement survivre.

Face aux risques de pénuries d’eau, la sobriété, en proposant des solutions fondées sur la nature et en s'appuyant sur des changements culturels profonds, sera la seule à même d'éviter en France et dans le Monde une crise existentielle pour notre civilisation.

Pour préserver notre avenir et celui de nos enfants, plus que jamais, l’eau est la mère des bataille. Et cette bataille ce joue maintenant.

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